Opposabilité des clauses attributives de juridiction en matière internationale : la problématique de l'effet relatif des conventions

Europe

Depuis quelques années, la jurisprudence relative à l’opposabilité des clauses attributives de juridiction en matière internationale s’est densifiée et a donné lieu à diverses décisions dont l’intérêt pratique pour les entreprises ne faiblit pas.

L’arrêt Refcomp rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 7 février 2013 marque le début de cette évolution jurisprudentielle (CJUE, 7 février 2013, C543/10).

En raison de désordres survenus après des travaux de rénovation dans le système de climatisation d’un immeuble, le maître d’ouvrage français assigne le fabricant italien des compresseurs intégrés dans ce système de climatisation, l’assembleur italien et le vendeur italien devant le tribunal de grande instance de Paris afin de les faire condamner in solidum à la réparation du préjudice subi.

Le fabricant italien conteste cette compétence en invoquant une clause attributive de juridiction, stipulée dans le contrat qu’il avait conclu avec l’assembleur des groupes de climatisation, au profit des tribunaux italiens. Saisie de ce litige, la Cour de cassation décide de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la CJUE sur l’opposabilité d’une telle clause.

En février 2013, la CJUE juge que la clause attributive de juridiction figurant dans le contrat conclu entre le fabricant italien des compresseurs et leur acquéreur italien ne peut être opposée au tiers sous-acquéreur français (i.e. le maître d’ouvrage) qui, au terme d’une succession de contrats translatifs de propriété conclus entre des parties établies dans différents États membres, a acquis les compresseurs et veut engager une action en responsabilité à l’encontre du fabricant, sauf à établir qu’il avait donné son consentement effectif à cette clause.

En refusant l’automaticité de l’opposabilité d’une clause attributive de juridiction au sous-acquéreur d’un bien l’ayant acquis au terme de divers contrats translatifs de propriété, la CJUE semble remettre en cause le principe de l’action directe tel que nous le connaissons aujourd’hui en droit français.

Pour mémoire, la Cour de cassation juge en effet traditionnellement que, dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, les clauses compromissoires sont transmises de façon automatique en tant qu’accessoire du droit d’action (lui-même accessoire du droit substantiel transmis (Cass Civ 1ère, 27 mars 2007, n°04-20842).

Rompant avec cette approche, la Cour de cassation s’est conformée, en septembre 2013, à la position européenne et a jugé que la décision de la cour d’appel de Paris qui avait déclaré inopposable au maître d’ouvrage français (sous-acquéreur des compresseurs litigieux) la clause attributive de juridiction convenue entre le fabricant de ceux-ci et leur acquéreur était justifiée dans la mesure où elle avait pu constater que le sous-acquéreur n’avait pas accepté cette clause (Cass Civ 1ère, 11 septembre 2013, n°09-12442).

La Cour de cassation vient de confirmer cette nouvelle position dans une espèce quelque peu différente en ce qu’elle n’impliquait aucune chaîne de contrats translatifs de propriété mais un groupe de contrats (Cass Com, 4 mars 2014, n°13-15846).

Un premier contrat d’achat de licences avait été conclu avec Microsoft France puis, du fait de difficultés matérielles apparues dans la réalisation du projet convenu, un second contrat portant sur les mêmes prestations avait été signé avec Microsoft Ireland Operations. Une clause portant attribution de compétence aux juridictions irlandaises figurait dans ce second contrat.

Face à des difficultés matérielles persistantes, la société acheteuse avait assigné Microsoft France devant le tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir, à titre principal, la nullité des deux contrats précités. Microsoft France souleva alors l’incompétence des juridictions françaises en invoquant la clause de juridiction prévue au second contrat auquel elle n’était pas partie.

La cour d’appel de Paris a confirmé la compétence du tribunal de commerce de Paris au motif que la clause attribuant compétence aux juridictions irlandaises était incluse dans un contrat auquel Microsoft France n’était pas partie, de sorte que cette société ne pouvait pas l’opposer à son acquéreur. C’était donc une application stricte du principe de l’effet relatif des contrats qui motivait ici la décision des juges du fond.

La Cour de cassation ne valide pas ce raisonnement en considérant que les juges du fond auraient dû rechercher si, au jour de la formation du contrat entre l’acquéreur et la société irlandaise, la clause attribuant compétence aux juridictions irlandaises n’était pas connue de Microsoft France et n’avait pas été acceptée par celle-ci dans ses relations avec son acheteur.

Fidèle à la position dégagée en 2013 et à celle de la CJUE, la Cour de cassation confirme donc qu’une clause attributive de juridiction ne peut en principe être opposée à un tiers, que ce soit dans le cadre d’une chaîne de contrats translatifs de propriété ou en présence d’un groupe de contrats, à moins de démontrer que le tiers a accepté cette clause.

Une incertitude demeure toutefois quant aux conditions imposées par les juridictions françaises pour rendre une clause attributive de juridiction opposable à un tiers. Sur ce point, la Cour de cassation semble être plus exigeante que la CJUE : en effet, alors que cette dernière pose comme seul critère de l’opposabilité d’une telle clause la preuve du consentement effectif du tiers, la Cour de cassation requiert pour cette même opposabilité, que celui qui l’invoque démontre que le tiers connaissait l’existence de la clause litigieuse lors de la conclusion du contrat mais également qu’il l’avait acceptée dans ses relations avec une partie au contrat intégrant cette clause.

En pratique, il devrait être bien difficile de satisfaire aux exigences de preuve posées par la Haute Juridiction française et il pourrait être souhaitable que celle-ci se prononce à nouveau sur cette question.