Avis technique de l'ESMA sur les mesures de niveau 2 de MIF II | Flash info Banque & finance

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L’Autorité européenne des marchés financiers (l’« ESMA ») agissant sur mandat de la Commission Européenne, a publié le 19 décembre 2014 son avis technique final sur les mesures de niveau 2 de la directive 2014/65/UE, dite Directive MIF II (l’« Avis Technique »).

La publication de l’Avis Technique fait suite à la consultation lancée entre le 22 mai et le 1er août 2014 (la « Consultation »), dont les thèmes sont identiques.

Le thème de la protection des investisseurs qui représente, à lui seul, 184 des 446 pages de l’Avis Technique doit particulièrement retenir l’attention, notamment dans le cadre de (1) l’information des investisseurs, (2) la légitimité des « droits, commissions ou autres avantages monétaires ou non monétaires en rapport avec la fourniture du service aux clients, versés ou fournis par un tiers ou par une personne agissant pour le compte d’un tiers [à l’entreprise d’investissement] » visés aux articles 24-7 et suivants (les « Rétrocessions ») et (3) la notion de conseil indépendant.

Si des évolutions sur les points analysés par l’ESMA sont envisageables d’ici l’adoption des actes délégués par la Commission, l’Avis Technique confirme toutefois les options prises par le régulateur européen dans son interprétation de la Directive MIF II et, en conséquence, sur les options devant être tranchées par la Commission.

1. L'information des investisseurs

  • 1.1 L’information sur le conseil en investissement

S’agissant des informations fournies par les prestataires de services d’investissement ou par les conseillers en investissements financiers (ensemble, les « PSI ») à leurs clients sur la nature indépendante ou non du conseil fourni, l’ESMA mentionne qu’il serait attendu de ces derniers qu’ils expliquent clairement les caractéristiques du conseil permettant de justifier de son caractère et, s’agissant du conseil indépendant en particulier, de mentionner les restrictions applicables. Ainsi, l’ESMA, suite aux remarques formulées par les associations de consommateurs, insiste tout particulièrement sur le fait que le PSI doit informer son client de l’interdiction des rétrocessions dans le cadre du conseil indépendant. Il faut noter que ces exigences sont applicables quelle que soit la nature du client (qu’il soit professionnel ou non professionnel au sens de la Directive MIF II).

Afin d’assurer une totale transparence, les PSI devraient également révéler à leurs clients les conditions de sélection des instruments financiers qui leur sont conseillés, y compris les liens existants entre les PSI et les émetteurs de ces instruments financiers. Il ne suffirait pas d’expliquer le processus de sélection en des termes généraux, les PSI étant dans l’obligation d’indiquer précisément le nombre ou encore le type d’instruments financiers analysés. En pratique, ces nouvelles obligations entraîneront notamment des contraintes opérationnelles pour les PSI qui devront régulièrement mettre à jour les listes d’instruments financiers proposés à leurs clients. Cette nouvelle exigence aurait une autre conséquence pratique : les PSI étant soumis à l’obligation générique de fournir des informations claires et complètes, l’ajout de nouvelles informations devra être réalisé de manière à ne pas « noyer » les clients sous l’information.

Enfin, lorsque le PSI fournit au client une évaluation périodique du caractère approprié des instruments financiers qui lui sont recommandés, il devra lui indiquer l’étendue et la fréquence de cette évaluation, l’étendue des informations qui seront réévaluées périodiquement et le moyen de communication de cette évaluation périodique. Cette réévaluation périodique devra au moins être annuelle.

  • 1.2 L’information sur les instruments financiers proposés

L’ESMA propose de compléter l’article 31 de la directive 2006/73/CE portant mesures d’exécution de la directive 2004/39/CE (MIF) en requérant des PSI qu’ils informent leurs clients sur les performances d’un instrument financier en fonction des conditions de marché, les conditions et obstacles au droit de sortie des investisseurs ou encore, le cas échéant, les différentes composantes d’un instrument financier (notamment en cas de garantie). Il est également proposé de clarifier l’article 34 de la même directive afin de coordonner les informations contenues dans les DICI avec celles désormais exigées dans le cadre de la Directive MIF II.

Cette dernière proposition nous semble aller dans l’intérêt des professionnels et des clients, puisqu’elle évite la confusion entre les différentes informations fournies à ces derniers et facilite la mise en œuvre de la nouvelle réglementation pour les PSI. S’agissant précisément de l’obligation d’information sur les conditions de sortie, l’ESMA tient compte de la difficulté de définir a priori ces conditions : une simple indication du laps de temps pendant lequel l’investisseur pourra disposer de son investissement serait ainsi à ce stade suffisante.

  • 1.3 L’information sur les coûts et frais

L’ESMA confirme que l’obligation d’information sur les coûts et frais est applicable à toutes les catégories de clients, quand bien même ce champ d’application reste controversé (notamment vis-à-vis du champ d’application des obligations issues du règlement PRIIPS). Cela dit, les clients dits professionnels et les contreparties éligibles ont la possibilité d’opter pour un régime allégé, sauf lorsque la prestation du PSI relève des services de conseil et/ou de gestion ou concerne des instruments financiers intégrant des dérivés.

L’information a priori sur les coûts et frais devrait concerner (i) les coûts liés aux instruments financiers et au service d’investissement lorsque le PSI recommande ou distribue des instruments financiers ou lorsqu’il a l’obligation de fournir un DICI ou un DIC ou (ii) les coûts liés au service d’investissement ou un service connexe concerné lorsque le PSI le fournit. Par ailleurs, lorsque plusieurs PSI interviennent auprès d’un même client, chaque PSI a l’obligation d’informer ce dernier des coûts et frais ci-dessus, y compris lorsque les services de ce PSI ont été commercialisés par un autre PSI auprès du client.

Une information annuelle a posteriori serait également exigée lorsqu’une relation continue a été établie entre le PSI et le client. Toutefois, l’ESMA s’est refusée à définir précisément à ce stade la notion de relation continue.

Les PSI auront l’obligation d’informer les clients du total des coûts et frais (tels que listés par l’ESMA) (i) liés au service d’investissement ou au service connexe fourni au client, et (ii) liés à la production et à la gestion des instruments financiers. Nous retiendrons en particulier que les rétrocessions versées aux PSI doivent être incluses dans ce coût total et présentées séparément. Par ailleurs, l’ESMA invite la Commission européenne à étudier la possibilité d’obliger les PSI à fournir plus d’informations que celles prévues dans le DICI (à charge pour les PSI de calculer le coût et d’obtenir les informations pertinentes auprès des gestionnaires de UCITS).

Enfin, les PSI seront également dans l’obligation de présenter aux clients, sous forme illustrée, l’effet des coûts sur le rendement supposé de leur investissement.

Ces multiples obligations engendreront des coûts opérationnels non négligeables, notamment pour les petites structures. La multitude d’informations fournies aux clients, tout comme l’absence d’uniformité entre les différentes réglementations actuellement mises en place (PRIIPS, UCITS) pourraient aller à l’encontre de la transparence érigée en principe fondamental par l’ESMA.

2. La légitimité des Rétrocessions versées à/par un tiers

  • 2.1 La question des « avantages non-monétaires mineurs » visés aux articles 24-7(b) et suivants de la Directive MIF II

La question des avantages non-monétaires mineurs est celle des avantages pouvant être licitement perçus par les PSI fournissant des services de conseil indépendant, sans qu’une telle réception puisse entacher la fourniture de service à leurs clients.

Dans la Consultation, l’ESMA proposait à la Commission européenne d’introduire une liste exhaustive d’avantages « non monétaires mineurs » pouvant être considérés comme n’empêchant pas le respect par le PSI de son devoir d’agir au mieux des intérêts de son client (par exemple, la remise d’information ou de documentation relative à un instrument financier1 ou un service d’investissement, une invitation à des séminaires, à des conférences, voire à des formations portant sur le bénéfice d’un instrument financier, ou encore un déjeuner offert lors d’une conférence ou un séminaire).

De nombreux participants à la Consultation reprochaient le caractère exhaustif et donc restrictif d’une telle liste, certains allaient même jusqu’à reprocher à l’ESMA d’aller au-delà de sa mission en ne se limitant pas à proposer des « critères » portant sur l’appréciation des « avantages non monétaires mineurs » mais en « légiférant » par le biais d’une liste exhaustive.

L’ESMA rappelle, dans un premier temps, que l’élaboration d’une liste permet d’illustrer les critères proposés par l’ESMA (les avantages devant être raisonnables, proportionnés et dans un champ limité) et, dans un second temps, prenant acte des différents commentaires sur le caractère trop exhaustif de la liste proposée, ajoute dans son Avis Technique un critère ouvert permettant de couvrir les : « autres avantages non monétaires mineurs répondant aux critères visés au paragraphe 4 [c’est à dire des avantages devant être raisonnables, proportionnés, dans un champ limité et n’étant pas de nature à influencer le bénéficiaire d’une manière qui pourrait être préjudiciable pour le client] tels qu’identifiés dans les guides ESMA2 ».

Ainsi, si la liste visée par l’ESMA peut être considérée comme un socle impératif, l’adjonction de ce dernier critère ouvre une certaine flexibilité.

  • 2.2 Le traitement de la recherche en investissement comme une forme d’incitation

De nombreux participants à la Consultation contestaient la position de l’ESMA selon laquelle la recherche en investissement, remise, par exemple, à un gérant de portefeuille par son prestataire en charge de l’exécution des ordres de ses clients, serait une forme de Rétrocession (inducement) et tomberait donc dans le champ des articles 24 (7) et (8) de la Directive MIF II.

A ce titre l’ESMA, rappelle dans son Avis Technique que la notion de Rétrocession est large (laquelle couvre à la fois des avantages monétaires et non monétaires) et qu’aussi bien le CESR3 que l’ESMA mentionnaient clairement la recherche en investissement comme une forme de Rétrocession.

Néanmoins, sur ce point également, l’ESMA prend acte des observations des participants à la Consultation en insérant dans son Avis Technique les conditions détaillées dans lesquelles la fourniture de recherche en investissement ne tomberait pas dans le champ des Rétrocessions.

Selon l’ESMA, la recherche ne serait pas une forme de Rétrocession dès lors que cette recherche est reçue par l’entreprise d’investissement en contrepartie :

- d’un paiement direct réalisé par l’entreprise d’investissement avec ses propres ressources ; ou
- d’un paiement provenant d'un compte affecté aux opérations de recherche et contrôlé par l'entreprise d’investissement. L’ESMA détaille les modalités de fonctionnement de ce compte affecté à la recherche (ressources affectées à ce compte, information du client, évaluation de la qualité des recherches, modalités de remboursement/compensation du compte, etc.).

Si cette évolution de l’ESMA est positive, une question demeure quant au niveau d’exigence de la transparence des informations sur les coûts affectés à la recherche et, en particulier, sur les modalités de calcul et d’affectation reconnus comme acceptables au regard des nouvelles exigences de transparence.

  • 2.3 La notion d’amélioration de la qualité du service au bénéfice du client

L’ESMA semble avoir pris acte du fait que la liste de critères venant qualifier ou non une Rétrocession comme améliorant « la qualité du service fourni au client » (au sens de l’article 24-9 de la Directive MIF II) pourrait avoir pour conséquence, de facto, d’interdire les Rétrocessions et donc de faire disparaitre le modèle de distribution des produits financiers par le biais de conseillers indépendants.

A ce titre, tout en rappelant que la qualité du service fourni au client est essentielle et que l’acceptation de Rétrocessions doit être conforme à la Directive MIF II, l’ESMA a modifié son Avis Technique en :

- précisant de façon plus concrète les conditions dans lesquelles les Rétrocessions ne seront pas considérées comme améliorant la qualité du service fourni par le PSI (et notamment en « illustrant » la notion de proportionnalité entre le service rendu par le PSI et la Rétrocession perçue) ; et
- supprimant la référence générale au fait qu’une Rétrocession « n’améliore pas la qualité du service au bénéfice du client dès lors qu’elle est utilisée pour payer ou fournir des biens ou des services qui sont essentiels pour la société bénéficiaire dans le cours normal de son activité »4.

  • 2.4 Les obligations de divulgation des Rétrocessions au client

L’ESMA rappelle dans son Avis Technique que la divulgation au bénéfice du client ne doit pas être faite sur une base générale, et précise également que la Directive MIF II ne permet plus aux PSI de communiquer à leurs clients un simple résumé (a summary disclosure).

Néanmoins, l’Avis Technique permet désormais aux PSI de divulguer, à leur client, les avantages non-monétaires mineurs d’une façon globale, c’est-à-dire sous la forme d’une description résumée de ces avantages sans évaluation de leur valeur.

3. La notion de conseil indépendant
Tout d’abord, on rappellera que le conseil indépendant suppose, conformément à l’article 24 de la Directive MIF II, qu’à l’exception des avantages mineurs précités (voir 2.1 ci-dessus) le PSI : « n’accepte pas, en les conservant des droits, commissions ou autres avantages monétaires ou non monétaires en rapport avec la fourniture du service aux clients, versés ou fournis par un tiers ou par une personne agissant pour le compte d’un tiers. »

En outre, la Directive MIF II impose aux PSI d’évaluer un nombre suffisant d’instruments financiers (que le conseil soit fourni d’ailleurs à titre indépendant ou non) et, en outre, que ces instruments ne soient pas limités aux produits d’entreprises liées.

Sur ce dernier point, l’ESMA a bien pris en compte dans son Avis Technique un certain nombre de commentaires formulés lors de la Consultation.

  • 3.1 Une gamme suffisante d’instruments financiers

Par gamme suffisante, l’ESMA précise qu’il faut entendre une gamme « suffisamment représentative » plutôt que « substantielle » d’instruments financiers.

En effet, s’appuyant sur le principe de proportionnalité, l’ESMA recommande que l’appréciation de l’étendue de la gamme d’instruments financiers étudiés soit « proportionnée » à l’étendue du service et donc, qu’elle soit suffisamment représentative de l’offre sur le marché. Cette condition de proportionnalité est également logiquement applicable quant à la diversification de l’étude entre les produits liés et non liés.

Par ailleurs, le processus de sélection doit tenir compte de tous les aspects tels que les risques, coûts et complexité des produits étudiés.

A défaut d’offrir une telle comparaison compte tenu de son « business model » ou du champ de son service, le PSI ne pourrait pas considérer que son conseil est indépendant.

Bien sûr, l’ESMA reconnaît que cette dernière contrainte doit être adaptée s’agissant des PSI fournissant des services de conseil sur une gamme ou catégorie spécifique de produits. Dans ce cas toutefois, le PSI devrait bien s’assurer que la fourniture d’un conseil sur cette gamme ou catégorie spécifique de produits est véritablement adéquate pour le client et que ce dernier a très clairement connaissance de l’étendue du conseil.

  • 3.2 La fourniture de conseil à titre dépendant et indépendant

Au titre de l’organisation que devront mettre en œuvre les PSI fournissant des services de conseil à titre indépendant et dépendant, c’est probablement sur l’organisation interne des PSI que l’Avis Technique de l’ESMA est le plus susceptible d’affecter le marché.

En effet, les conditions d’information du client sur la nature du service et l’interdiction pour un PSI de s’afficher comme indépendant ne sont pas de nature à trop sensiblement affecter les PSI.

Par contre, malgré les critiques reçues lors de la Consultation, l’Avis Technique maintient l’interdiction pour une même personne physique de fournir des services de conseil à titre dépendant et indépendant selon le cas.

L’ESMA fonde cet avis sur le risque de confusion que pourrait susciter une telle possibilité dans l’esprit du client.

Si un tel avis devait être retenu, les structures de petites tailles seront très sensiblement affectées : elles devront dans cette hypothèse, à défaut de garantir que leur organisation interne permette de bien distinguer entre les personnels chargés du conseil indépendant des autres membres de leur personnel, faire le choix de l’un ou l’autre des services.

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1 Sous certaines conditions : la recherche en investissement.
2 L’ESMA renvoie également l’identification et la caractérisation des « avantages non monétaires » à ses futurs guidelines.
3 Le Committee of European Securities Regulators aujourd’hui remplacé par l’ESMA.
4 Critère (i) du paragraphe 10 de la Consultation.