Loi "Sapin II" : l'état des dispositions "fiscales" après l'examen du Conseil constitutionnel

France

Le 8 novembre 2016, l’Assemblée nationale a adopté en lecture définitive le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit "Sapin II", contenant plusieurs articles liés à la fiscalité dont certains ont pu passer un peu inaperçus.

Exactement un mois plus tard, le 8 décembre 2016, une décision n° 2016-741 DC du Conseil constitutionnel invalide plusieurs articles de cette loi "Sapin II", notamment l'obligation de reporting public pays-par-pays qui devait peser sur les sociétés.

Il est temps de rappeler les possibles apports, pour la pratique fiscale, de ce texte qui sera publié au Journal officiel dans les tous prochains jours.

Volet pénal-fiscal
La loi prévoit (art. 22) une nouvelle procédure de transaction pénale pour certaines infractions comme le blanchiment de fraude fiscale, qui n'est toutefois pas ouverte en cas de fraude fiscale à proprement parler. Destinée aux sociétés, elle pourra leur permettre d'éviter la mise en mouvement des poursuites pénales en acceptant, sur proposition du procureur de la République, de conclure, sans reconnaissance de culpabilité, une convention qui prévoit le paiement d’une amende d'intérêt public et/ou la soumission à un programme de mise en conformité sous le contrôle de l’Agence française anticorruption. Cette convention devra être validée par le président du Tribunal de grande instance.

Relations avec les Etats et territoires non coopératifs (ETNC)
La loi prévoit (art. 57) que les aggravations fiscales visant les relations avec les Etats ou territoires non coopératifs inscrits sur la liste des ETNC s’appliqueraient, pour ceux qui sont ajoutés à la liste des ETNC, non plus à compter du 1er janvier suivant l'arrêté qui les ajoute, mais à compter du premier jour du troisième mois qui suit sa publication. Elles cesseraient de s'appliquer à la date de publication de l'arrêté qui les retire de la liste. Mais le Conseil constitutionnel a censuré, au nom du principe de séparation des pouvoirs, l’obligation pour le Gouvernement de consulter la commission des finances de chaque assemblée parlementaire avant de publier les arrêtés ministériels.

Déclaration annuelle des prix de transfert
L'article 138 de la loi étend le champ d’application de l’obligation déclarative dite simplifiée, qui figure à l'article 223 quinquies B du Code général des impôts (CGI), en abaissant fortement le seuil de référence qui détermine les sociétés concernées (en fonction de leur chiffre d’affaires ou du total de leur bilan) de 400 millions d’euros à 50 millions d’euros. Cette extension concernera donc des sociétés qui, du fait de leur taille, ne sont pas tenues de préparer une documentation prix de transfert pour la présenter à l'Administration en cas de contrôle (Livre des procédures fiscales – LPF -, art. L.13 AA). Elle s'appliquera aux déclarations devant être déposées au titre des exercices clos à compter du 31 décembre 2016. Rappelons que pour l'exercice correspondant à cette date de clôture, la déclaration des prix de transfert est à souscrire pour le 3 novembre 2017.

Obligation pour les sociétés de publier des informations relatives à leurs bénéficiaires effectifs
La loi (art. 139) rend obligatoire la déclaration périodique, via le Registre du commerce et des sociétés, des informations relatives aux bénéficiaires effectifs. Cette déclaration, pour laquelle aucune sanction spécifique n'est prévue, pourra se révéler d'application délicate, dès lors que certaines sociétés auront du mal à apprécier le contrôle exercé par les personnes qui doivent être qualifiées de bénéficiaire effectif. Rappelons que cette mesure a été présentée comme venant compléter l'obligation concernant spécifiquement les trusts. Un décret en Conseil d’Etat doit encore préciser les informations sur les bénéficiaires effectifs qui sont mises à la disposition du public et celles qui ne sont accessibles qu’aux autorités publiques compétentes dans certains domaines énumérés par le texte, dont notamment la lutte contre l’évasion fiscale.

Commercialisation d'investissements immobiliers ouvrant droit à une réduction d'impôt
La loi (art. 78) pose une nouvelle obligation de transparence, immédiatement applicable, en cas de démarchage ou de publicité pour des investissements immobiliers ouvrant droit à certains dispositifs fiscaux comme la réduction d'impôt dite "Pinel". Le manquement à cette nouvelle obligation, qui consiste à informer l'investisseur de l'existence des risques afférents à son investissement, pourra être sanctionné par une amende administrative de 100 000 euros.

Régime des micro-entreprises (anciennement régime des auto-entrepreneurs)
La loi (art. 124) assouplit le régime, dont on rappelle qu'il simplifie et allège la fiscalité en matière de TVA et d'impôt sur le revenu, en l'ouvrant notamment aux SARL dont l'associé unique est une personne physique dirigeant cette société.

Echange d’informations entre administrations
La loi (art. 160) complète le Livre des procédures fiscales (LPF) et le Code des douanes pour prévoir que les agents de la Direction générale des finances publiques (DGFIP) et de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) peuvent se communiquer (spontanément ou sur demande) tous documents et renseignements détenus ou recueillis dans le cadre de l’ensemble de leurs missions respectives.

Mesures invalidées

Reporting financier public pays-par-pays (art. 137)
L'obligation qui devait être faite aux sociétés, notamment celles dont le chiffre d’affaires excède 750 millions d’euros, de publier un rapport public annuel comportant des indicateurs économiques et fiscaux sur leur activité pays-par-pays, a été invalidée. Le Conseil constitutionnel a relevé que cette obligation serait "de nature à permettre à […] leurs concurrents, d'identifier des éléments essentiels de leur stratégie industrielle et commerciale", ce qui porterait une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d'entreprendre.

Régime de la TVA à l’importation (art. 58)
L’aménagement du régime d’autoliquidation de la TVA à l'importation, qui devait conduire à renforcer l’encadrement du régime optionnel résultant de la loi sur « l’économie bleue » et à tirer les conséquences de l’entrée en application du Code des douanes communautaire a été invalidée par le Conseil au motif que cette réforme n'a pas sa place dans cette loi (cavalier législatif). Il conviendra d'être vigilant en cette fin d'année, la réforme pouvant être réintroduite dans les lois de finances en cours de discussion au Parlement.

Poursuites pénales contre la fraude fiscale (art. 23)
Le Conseil constitutionnel a invalidé l'extension de la compétence exclusive du parquet financier à compétence nationale, notamment aux délits de fraude fiscale aggravée (article 1741 et 1743 du CGI) commis en bande organisée, en relevant notamment que la disposition votée ne prévoyait pas de "dispositions transitoires de nature à prévenir les irrégularités procédurales susceptibles de résulter de ce transfert de compétence".

Dispositions diverses

Sont également invalidées, principalement parce qu'il s'agit de cavaliers législatifs : la possibilité, pour les exploitations agricoles à responsabilité limitée dont l’associé unique est une personne physique dirigeant cette exploitation, de bénéficier du régime fiscal des micro-exploitations (art. 112), l'aménagement du régime du crédit d’impôt relatif aux logements sociaux en outre-mer (art. 166), et l'impossibilité qui devait être faite aux personnes ayant eu une condamnation pour manque de probité (les "infractions fiscales" devaient figurer dans la liste de ces atteintes) d'être candidat à une élection (art. 19).