COVID-19: le Tribunal de l’UE accueille le recours de Ryanair à l’encontre d'une aide de l'Allemagne en faveur de la compagnie aérienne Condor

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Le 9 juin 2021, le Tribunal de l’UE a annulé pour défaut de motivation la décision de la Commission européenne du 26 avril 2020 autorisant une aide de l’Allemagne de 550 millions EUR en faveur de la compagnie aérienne Condor. Le Tribunal a suspendu les effets de cette annulation jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision par la Commission.

Dans son arrêt T-665/20 du 9 juin 2021, le Tribunal de l’UE a annulé, pour défaut de motivation, une décision de la Commission européenne approuvant une aide de l’Allemagne de 550 millions EUR en faveur de la compagnie aérienne Condor.

L'indemnisation du dommage de Condor causé par la pandémie, approuvée par la Commission

La Commission européenne avait approuvé cette aide, accordée sous la forme de deux prêts publics subsidiés garantis par l’État Allemand pour un montant total de 550 millions EUR, sur la base de l’article 107.2 b) du TFUE dans sa décision du 26 avril 2020 (voir notre article du 18 mai 2020).

Cette disposition contraint la Commission européenne de déclarer compatible avec le marché intérieur les aides destinées à remédier aux dommages causés par des calamités naturelles ou par d’autres évènements extraordinaires. La crise liée au COVID-19 a été considérée par la Commission comme un tel événement, en raison de son caractère exceptionnel et imprévisible et de ses répercussions majeures sur l'économie, permettant donc d’autoriser l’indemnisation de certaines entreprises pour des dommages causés directement par la pandémie. Depuis le début de la crise du COVID-19, de nombreuses aides visant à l'indemnisation du dommage causé par la pandémie ont été autorisées en faveur des compagnies aériennes (voir notamment notre article du 25 mai 2021), mais également en faveur d’autres secteurs (voir notre article du 26 mai 2021).

Le recours en annulation de Ryanair

A l'instar de toutes les décisions de la Commission autorisant des aides en faveur de compagnies aériennes, Ryanair a intenté le 6 novembre 2020 un recours en annulation à l'encontre de la décision de la Commission dans l'affaire Condor auprès du Tribunal de l’Union européenne. La compagnie a sollicité l'application de la procédure accélérée, ce qui a permis d'aboutir à un arrêt dans cette affaire dans un délai extrêmement court de 8 mois.

Ryanair invoquait quatre moyens d'annulation. Le premier concernait la violation des principes de non-discrimination, de libre prestation de services et de liberté d’établissement. Le deuxième reprochait à la Commission une application erronée de l’article 107.2 b) du TFUE et une erreur manifeste d’appréciation relative à la proportionnalité de l’aide. Par son troisième moyen, Ryanair soulevait que la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen. Enfin, le quatrième moyen était fondé sur la violation de l’obligation de motivation.

La position du Tribunal de l'UE

Le Tribunal de l’UE a examiné la décision au regard du dernier moyen invoqué par Ryanair, à savoir la violation de l'obligation de motivation et a rappelé qu’au titre de l’article 107.2 b) du TFUE, seuls les dommages causés directement par l’événement extraordinaire peuvent être compensés. Il est nécessaire qu’un lien de causalité soit établi et qu’une évaluation aussi précise que possible des dommages subis soit menée.

La Commission européenne doit notamment examiner si les mesures de soutien envisagées sont appropriées pour remédier aux dommages causés par la pandémie, les mesure ne pouvant être d’ordre général et indépendantes des dommages provoqués par l’événement. Elle doit, en outre, contrôler que le montant de la compensation octroyée est proportionné et limité à ce qui est nécessaire pour remédier aux dommages subis par le bénéficiaire de la mesure d’aide.

Dans sa décision, la Commission a déterminé le montant des dommages subis par Condor en raison des restrictions de voyages instaurés dans de nombreux États membres (annulations ou reprogrammation de ses vols), en calculant la différence entre les prévisions des bénéfices (avant impôt) pour la période de mars à décembre 2020, effectuées avant et après l’annonce des restrictions de voyages et des mesures de confinement. Ce montant a ensuite été augmenté des coûts liés à la prolongation de la période d’insolvabilité de la compagnie aérienne, suite à l’échec de sa vente à un investisseur.

A cet égard, le Tribunal observe premièrement que l’objectif déclaré de la mesure allemande était d’indemniser Condor uniquement pour les dommages directement causés par l’annulation et la reprogrammation de ses vols, suite à l’instauration de mesures de restrictions de voyages ou de confinement, à l’exclusion de toutes autres sources de dommages.

Or, concernant les coûts supplémentaires encourus par Condor en raison de la prolongation de sa procédure d’insolvabilité, la Commission s'est contentée d’indiquer dans sa décision qu’il était légitime d’ajouter ces coûts aux dommages réclamés. Elle n’a pas explicité le lien direct entre ces coûts et les annulations ou reprogrammations de vols liés à la crise sanitaire.

De plus, le Tribunal relève qu’aucun élément n’indique dans la décision que la cause de l’échec de la vente de Condor à un investisseur aurait été l’annulation et la reprogrammation de ses vols.

Enfin, le Tribunal constate que la Commission n’a expliqué ni la manière dont ces coûts supplémentaires avaient été évalués, ni le type de coûts concernés, ni si la totalité ou seulement une partie de ces coûts avait été considérée comme directement causée par l’annulation et la reprogrammation des vols de Condor.

Par conséquent, le Tribunal relève un défaut de motivation dans la décision de la Commission quant au lien de causalité entre les coûts occasionnés par la prolongation de la période d’insolvabilité de Condor et l’annulation et la reprogrammation de ses vols en raison des restrictions de voyages imposées dans le contexte de la crise du COVID-19.

Dès lors, le Tribunal a annulé la décision de la Commission du 26 avril 2020 estimant que face à un tel défaut de motivation, il n’était pas en mesure de déterminer si l’aide approuvée par la Commission était conforme aux conditions énoncées à l’article 107.2 b) du TFUE.

Quelles sont les conséquences de l'annulation de la décision de la Commission ?

Relevons que, tout comme dans ses récents arrêts d’annulations concernant les aides en faveur des compagnies aériennes KLM et TAP, le Tribunal a suspendu les effets de l’annulation jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision par la Commission (voir notre article du 1er juin 2021) et ce de manière exceptionnelle.

En raison de l'annulation de la décision approuvant cette aide, celles-ci devenait entachée d'illégalité puisqu'elle avait été versée à Condor et n’était plus couvertes par une approbation formelle de la Commission. La suspension des effets de l’arrêt, permet donc d’éviter d’engendrer des conséquences préjudiciables supplémentaire pour l’économie Allemande, déjà gravement touchée par la crise sanitaire actuelle.

La Commission est donc invitée à revoir sa copie, mieux motivée…..

Après les arrêts du Tribunal dans les affaires KLM et TAP, il s’agit donc d’une nouvelle victoire pour Ryanair, qui jusqu’alors avait intenté sans succès de nombreux recours à l’encontre de décisions autorisant des aides d’États dans le secteur aérien (à cet égard voir notamment nos articles du 19 février et du 5 mai 2021).

A l'avenir, la Commission sera donc contrainte de motiver plus en détails ses futures décisions relatives à des aides aux compagnies aériennes pour éviter la sanction d'une annulation par le Tribunal.