COVID-19: le Tribunal de l’UE accueille les recours de Ryanair à l'encontre des aides en faveur de KLM et TAP

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Le 19 mai 2021, dans ses arrêts T-643/20 et T-465/20, le Tribunal de l’Union européenne a annulé deux décisions de la Commission européenne autorisant des aides d’Etat en faveur des compagnies aériennes KLM et TAP pour défaut de motivation.

L'affaire KLM

Dans la première affaire, la Commission européenne avait approuvé le 13 juillet 2020 une aide des Pays-Bas en faveur de KLM pour un montant de 3,4 milliards EUR, sous la forme d’une garantie et d’un prêt d’État et destinée à fournir les liquidités dont la compagnie aérienne avait besoin pour faire face aux répercussions économiques de la pandémie de COVID-19. La Commission avait estimé que l'aide était conforme aux conditions énoncées dans l’Encadrement temporaire en matière d’aides d’État visant à soutenir l’économie dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et avait approuvé la mesure.

Un recours en annulation à l'encontre de cette décision avait été intenté par Ryanair auprès du Tribunal de l’Union européenne le 23 octobre 2020. Ryanair invoquait plusieurs moyens d'annulation.

Le premier concernait le fait que la Commission aurait exclu à tort l’aide octroyée à Air France du champ d’application de la décision attaquée. Le deuxième invoquait une violation des principes de non-discrimination, de libre prestation des services et de la liberté d’établissement. Le troisième, invoquait une application erronée de l’article 107, paragraphe 3, point b) du TFUE. Par son quatrième moyen, Ryanair estimait que la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen. La compagnie aérienne invoquait finalement un moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation. Ryanair a obtenu du Tribunal l'application de la procédure accélérée, ce qui a permis d'obtenir un arrêt dans un délais de moins d'un an.

Dans son arrêt, le Tribunal relève que KLM et Air France appartiennent au même groupe et que Air France avait bénéficié d'une aide approuvée par la Commission dans le contexte de la pandémie. Selon le Tribunal, la Commission n'a pas explicité dans sa décision les raisons pour lesquelles l'aide en faveur de la compagnie française n'avait pas d'impact sur la compatibilité de l'aide en faveur de KLM. La décision ne reprenait aucune information sur la composition de l’actionnariat d’Air France et de KLM, ni aucune information quant aux liens fonctionnels, économiques et organiques entre les filiales et la holding. Cette dernière ne faisait que constater que les autorités néerlandaises avaient confirmé que le financement accordé à KLM ne serait pas utilisé par Air France.

Or, lorsqu’une aide a déjà été accordée à une autre filiale du même groupe, il revient à la Commission lors de son examen de compatibilité d’examiner les liens entre les différentes filiales de ce groupe afin de déterminer s’il s’agit d’une seule unité économique, considérée comme un bénéficiaire unique, surtout lorsqu’il y a lieu de craindre qu’un cumul d’aides d’État au sein du même groupe ait des effets néfastes sur la concurrence.

Le Tribunal a donc annulé la décision de la Commission du 13 juillet 2020 pour défaut de motivation.

L'affaire TAP

Le 10 juin 2020, la Commission avait autorisé un prêt au sauvetage du Portugal de 1,2 milliard EUR en faveur de TAP en vertu des lignes directrices concernant les aides d’État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté (voir notre article du 12 juin 2020). Ce prêt d'une durée de six mois devait permettre à la compagnie portugaise d'avoir les liquidités suffisantes pour éviter la faillite et de préparer son plan de restructuration à soumettre à la Commission européenne.

Ryanair a introduit le 22 juillet 2020 un recours en annulation à l'encontre de cette décision, invoquant divers moyens dont l’application erronée de plusieurs points des lignes directrices susmentionnées et de l’article 108, paragraphe 2 du TFUE, la violation de l’article 107, paragraphe 3, point c) du TFUE et des principes de non‑discrimination, de libre prestation de services et de liberté d’établissement ; mais également pour défaut de motivation concernant l'appartenance de TAP à un groupe – la compagnie irlandaise invoquait que la Commission n’avait pas examiné si les difficultés du bénéficiaire étaient trop graves pour être résolues par le groupe lui-même, condition imposée par les lignes directrices précitées.

Dans son arrêt, le Tribunal n'examine que le moyen afférent au défaut de motivation. Il rappelle que conformément aux lignes directrices applicables, trois conditions cumulatives doivent être remplies pour qu’une aide au sauvetage accordée à une société faisant partie d’un groupe puisse être qualifiée d’aide compatible. Dans ce cadre, la Commission doit examiner si le bénéficiaire de l’aide fait partie d’un groupe, si les difficultés auxquelles le bénéficiaire fait face lui sont spécifiques (et ne résultent donc pas d’une répartition arbitraire des coûts au sein du groupe) et si ces difficultés sont trop graves pour être résolues par le groupe lui-même.

Or, le Tribunal a constaté que la Commission n’a ni constaté, ni précisé si le bénéficiaire faisait partie d’un groupe. La Commission a estimé que les deux autres conditions requises étaient remplies sans étayer ces affirmations. Elle n’a pas effectué d’analyse à cet égard et s’est bornée à fournir des précisions sur la situation financière du bénéficiaire et sur les difficultés engendrées par la pandémie de COVID-19 sans préciser les rapports intragroupes entre TAP et ses sociétés actionnaires.

Conséquences de l'annulation des deux décisions de la Commission européenne

Dans ses deux arrêts, le Tribunal a annulé les décisions de la Commission approuvant les aides en faveur de KLM et TAP. Il a estimé que face à un tel défaut de motivation, il n’était pas en mesure de déterminer si l’aide approuvée par la Commission était nécessaire et proportionnée et qu’elle respectait les conditions, notamment concernant le cumul des aides, contenues dans l’Encadrement temporaire ou dans les lignes directrices concernant les aides aux entreprises en difficulté.

Relevons qu'exceptionnellement, dans les deux affaires, le Tribunal a suspendu les effets de l’annulation jusqu’à l’adoption d’une nouvelle décision par la Commission pour éviter d’engendrer des conséquences préjudiciables supplémentaire pour l’économie des États membres concernées, dont les économies ont déjà été gravement perturbées en raison de la pandémie de Covid-19. En effet, en raison de l'annulation des décisions approuvant ces aides, celles-ci devenaient entachées d'illégalité puisqu'elles avaient été versées aux compagnies et ne sont pas plus couvertes par une approbation formelle de la Commission.

En cas d'annulation pour défaut de motivation, il est courant que la Commission réadopte une nouvelle décision, mieux motivée.

Relevons que le défaut de motivation constituait le risque d’annulation le plus élevé dans ce type d’affaires, dans la mesure où en raison du nombre important d’aides notifiées à la Commission dans le contexte de la pandémie et de leur urgence, la Commission ne disposait que d’un laps de temps limité pour évaluer ces projets d’aides complexes et rédiger ses décisions.

Ces deux arrêts constituaient les premières victoires de Ryanair dans une longue série d'affaires initiées par la compagnie à l'encontre de décisions autorisant des aides d’État dans le secteur aérien. Jusqu'à présent, ces recours n'avaient pas abouti. Ce fut notamment le cas des recours intentés à l’encontre des décisions approuvant les régimes d’aides français et suédois en faveur de leurs compagnies aériennes (voir notre article du 19 février 2021). Plus récemment, le Tribunal a également rejeté les recours en annulation de Ryanair à l’encontre des mesures d’aides accordées par la Suède et le Danemark à SAS et à l’encontre de l’aide accordée par la Finlande en faveur de Finnair (voir notre article du 5 mai 2021).

Notons par ailleurs que le même jour, le Tribunal de l’UE rejetait le recours de Ryanair à l’encontre d’un régime d’aides espagnol destiné à la recapitalisation des entreprises non financières établies en Espagne dans l’affaire T-628/20. Le Tribunal a considéré que le régime d’aides n'était pas discriminatoire et disproportionné et a par conséquent confirmé la validité de la décision de la Commission déclarant ce dernier compatible avec les règles de l’Union en matière d’aides d’État.