Nouvelle communication de la Commission européenne sur l’application  par les juridictions nationales des règles en matière d’aides d’Etat

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Le 23 juillet 2021, la Commission européenne a adopté la nouvelle Communication sur l’application, par les juridictions nationales, des règles européennes en matière d’aides d’Etat. Cette nouvelle Communication, mieux structurée, actualise et précise davantage les règles applicables au niveau national contenues dans la communication de 2009, lesquelles n’étaient plus en phase avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE et le cadre réglementaire des aides d’Etat suite aux évolutions constantes de ceux-ci.

Le texte de la Communication est accessible sur le site de la Commission européenne.

Après un bref rappel introductif de la notion d’aide d’Etat, du système de contrôle des aides d’Etat instauré par le Traité et des obligations incombant tant aux autorités nationales qu’à la Commission, la communication consacre un premier chapitre aux grands principes généraux applicables dans la mise en œuvre des règles en matière d’aides d’Etat. Elle aborde ainsi – outre les principes d’équivalence et d’effectivité déjà évoqués dans la Communication de 2009 – les principes de coopération loyale et l’autorité de la chose jugée.

Soulignons que le principe de l’autorité de la chose jugée au niveau national a une force relative en matière d’aides d’Etat puisqu’en vertu du principe de la primauté du droit européen, la Commission européenne détient la compétence exclusive que lui confère le Traité d’apprécier la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur.

Le rôle que jouent la Commission et les juridictions nationales dans la mise en œuvre des règles en matière d’aides d’Etat est ensuite respectivement abordé dans les chapitres 3 et 4 de la nouvelle Communication.

Concernant le rôle joué par la Commission en la matière, la Communication explicite davantage sa compétence exclusive d’appréciation de la compatibilité d’une mesure d’aide avec le marché intérieur, le contexte procédural dans lequel cette compétence s’inscrit, les conséquences que ces procédures peuvent avoir au niveau national, et les pouvoirs de la Commission en la matière (décision de récupération des aides illégales et incompatibles, injonction de suspension ou de récupération).

En ce qui concerne les juridictions nationales, la Commission rappelle leur rôle essentiel, à savoir celui de veiller à la sauvegarde des droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle de l’obligation dite de standstill par les autorités étatiques (les Etats ne peuvent mettre à exécution des mesures d’aide tant que la Commission ne s’est pas prononcée formellement sur leur compatibilité).

La nouvelle Communication intègre des précisions complémentaires relatives aux compétences des juridictions nationales, en particulier sur les points suivants:

  • Quant à l’appréciation de l’existence d’une violation de l’obligation de standstill, la Commission explicite le fait que les juridictions nationales doivent pouvoir établir si la mesure relève d’une des exceptions à l’obligation de notification. En effet, si la mesure remplit les critères énoncés dans un règlement d’exemption, ou si elle constitue une aide existante, les Etats membres ne sont pas tenus de la notifier préalablement à la Commission européenne. La Commission précise la portée de ces deux exceptions.
  • En matière de suspension ou de cessation de l’exécution d’une mesure d’aide, la Communication précise que le droit de l’Union n’impose aucune conséquence déterminée en ce qui concerne la validité de l’acte octroyant l’aide illégale. Les juridictions nationales peuvent ainsi déclarer nul et non avenu le contrat par lequel l’aide a été octroyée, annuler la décision des autorités de l’État qui octroient l’aide ou encore en suspendre son exécution.
  • En ce qui concerne la récupération d’une aide illégale en l’absence d’une décision de la Commission, la nouvelle Communication apporte des éclaircissements utiles et nécessaires sur le calcul des intérêts au titre de la période d’illégalité. L’article 9 du Règlement (CE) n°794/2004 (relatif à la méthode de fixation du taux d’intérêt) ne s’applique pas en l’absence d’une telle décision de récupération. Par conséquent, le calcul des intérêts au titre de la période d’illégalité s’effectue conformément aux règles de droit national applicables, sous réserve du respect de deux conditions : les règles nationales doivent respecter les principes d’équivalence et d’effectivité, et les intérêts dus au titre de la période d’illégalité doivent être calculés à un taux au moins égal à celui qui aurait été appliqué si le bénéficiaire avait dû emprunter le montant de l’aide en cause sur le marché au cours de cette période.
  • A l'égard des délais de prescription applicables à la récupération des aides par les juridictions nationale, la Communication indique clairement que le délai de 10 ans prévu par le Règlement de procédure s’applique uniquement à la Commission. Ainsi, les délais de prescription nationaux peuvent être plus longs, ce qui peut avoir pour conséquence que le juge national doit ordonner la récupération des aides octroyées en violation de l’obligation de suspension, même après l’expiration du délai de prescription prévu pour la Commission. Soulignons toutefois que dans les Etats membres où les délais de prescription sont inférieurs à 10 ans, les juridictions sont tenues par ces délais sauf s’il existe une décision de récupération de la Commission.
  • En matière de mesures provisoires, soulignons que les juridictions nationales ont l’obligation d’adopter des mesures provisoires si les conditions suivantes sont remplies: a) l’existence d’une aide d’État ne fait aucun doute; b) l’aide est sur le point d’être, ou a été, mise à exécution; c) aucune circonstance exceptionnelle rendant inappropriée une récupération n’a été constatée.
  • Concernant enfin les actions en dommages et intérêts, la Communication réitère les enseignements tirés de la jurisprudence Asteris, à savoir que les aides d’État revêtent une nature juridique fondamentalement différente des dommages-intérêts que les autorités nationales seraient condamnées à verser à des particuliers, en réparation d’un préjudice qu’elles leur auraient causé. Ainsi, en statuant sur l’indemnisation de tiers pour les coûts supportés du fait direct d’une aide illégale, les juridictions nationales doivent veiller à ne pas adopter une décision qui aurait pour effet d’octroyer une aide ou d’étendre le cercle des bénéficiaires. Les actions en dommages et intérêts ne peuvent avoir pour effet de contourner les règles en matière d’aides d’Etat.

Le chapitre 5 de la nouvelle Communication innove sur certains points.

Outre la possibilité d’assistance de la Commission aux juridictions nationales déjà évoquées dans la Communication de 2009, via la transmission d’informations et d’avis relatifs à l’application des règles en matière d’aides d’Etat, la Communication prévoit également la possibilité, pour la Commission, d’intervenir d’initiative à titre d’amicus curiae en soumettant des observations dans le cadre de procédures devant les juridictions nationales, sans demande spécifique préalable des juridictions concernées.

La décision d’intervenir à titre d’amicus curiae est une prérogative exclusive de la Commission et relève de sa propre discrétion. Si elle décide d’intervenir, elle doit toutefois en informer la représentation permanente de l’Etat membre concerné, et respecter les procédures et pratiques nationales en vigueur.

La Commission évaluera la nécessité ou le caractère approprié de son intervention au regard notamment de l’implication que pourrait avoir l’affaire au-delà du cas d’espèce; de l’impact que pourraient avoir ses observations sur l’effectivité de la mise en œuvre des règles en matière d’aides d’Etat par les juridictions nationales; de la nature de l’affaire (en particulier si elle soulève une nouvelle question de fond en la matière); ou encore, en fonction de si l’affaire peut ou non faire l’objet de recours ultérieurs. De telles observations ne sont toutefois pas contraignantes pour la juridiction nationale qui est amenée à statuer.

Cette faculté d’intervenir à titre d’amicus curiae a été prévue dans l’optique de garantir une application cohérente des règles en la matière découlant du Traité, ainsi que de favoriser davantage le partage de connaissances et une coopération plus étroite avec la Commission. En ce sens, rappelons qu’un point de contact unique existe, via lequel les juridictions nationales ou les parties peuvent adresser leurs demandes.

Relevons que la nouvelle Communication consacre en outre un titre spécifique visant l’assistance des juridictions nationales à la Commission européenne. Les juridictions nationales sont invitées (en raison du devoir de coopération loyale) à transmettre à la Commission une copie de tout jugement écrit rendu dans le cadre d’une procédure nationale où la Commission est intervenue, que ce soit au moyen d’une transmission d’information, d’un avis ou d’observations en tant qu’amicus curiae.

La Commission encourage également les États membres à établir des points de coordination pour les juges nationaux traitant de questions d’aides d’État, afin de favoriser un partage de bonnes pratiques et une application plus effective et cohérente des règles en matière d’aides d’État.

Dans son chapitre 6, la Commission aborde de manière plus structurée et détaillée les conséquences du défaut de mise en œuvre des règles et décisions en matière d’aides d’Etat. La Commission aborde ici l’importance de la notification par les Etats membres de toute mesure visant à prolonger ou modifier un acte octroyant une aide d’Etat, par exemple par voie d’interprétation. Cela peut se produire lorsqu’une juridiction nationale rend un jugement ayant une incidence sur la mise en œuvre d’un acte octroyant une aide d’État. La Commission rappelle que si le respect de l’obligation de standstill n’est pas garanti et qu’une aide nouvelle n’est pas notifiée, elle peut être amenée, de sa propre initiative ou en raison d’une plainte, à ouvrir une procédure d’examen concernant l’aide illégale.

Enfin, la Commission rappelle que les Etats membres ne sont pas à l’abri d’une procédure en manquement en vertu de l’article 258 du Traité s’ils manquent àune des obligations qui leur incombent en vertu des traités. Tel peut évidemment être le cas en cas en matière d’aides d’Etat si les juridictions nationales ne tirent pas les conséquences appropriées de la violation de l’article 108.3 du Traité et qu'elles n’empêchent pas, par exemple, la mise à exécution d’une mesure illégale ou n’ordonnent pas sa récupération.

Cette nouvelle Communication fait suite et tient compte de l’ensemble des observations et commentaires reçus à l’issue de la consultation publique sur le sujet, laquelle a justement souligné l’importance de davantage de coopération entre les juridictions nationales et la Commission.

A cet égard, Annabelle Lepièce fut l’une des expertes amenée à rédiger le chapitre belge de l'étude commandée par la Commission européenne sur l'exécution des règles et des décisions en matière d'aides d'Etat par les juridictions nationales, publiée en 2019.

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