Proposition de loi belge sur le contrôle des investissements directs étrangers dans les secteurs stratégiques

Belgique
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La proposition de loi, déposée le 23 février 2021, vise à inclure dans le Code belge de droit économique un mécanisme de filtrage des investissements directs étrangers dans une entreprise belge active dans un secteur stratégique. L’objectif est d’introduire en Belgique un mécanisme de notification ex ante à une commission de filtrage au sein du Ministre fédéral de l'Economie des projets d'investissements réalisés par des investisseurs non européens dans une entreprise belge exerçant ses activités soit dans un secteur hautement sensible, soit dans un secteur susceptible d'affecter la sécurité ou l'ordre public. Sur la base de l'avis de la commission de filtrage, le Ministre chargé des Affaires Economiques prendra une décision motivée pour approuver l’investissement (avec ou sans conditions) ou bloquer le projet d'investissement.

Actuellement, seule la Région flamande a mis en place, via son décret administratif flamand du 7 décembre 2018, un contrôle limité a posteriori des investissements étrangers dans les actifs (semi-)publics stratégiques de la Flandre. Aucune législation similaire relative au contrôle des investissements directs étrangers n'existe en Région wallonne et en Région de Bruxelles-Capitale.

Cette proposition de loi impactera le processus des projets d'acquisition d'investisseurs étrangers en Belgique. A l'instar de l'obligation de notification préalable des projets de concentration à l'Autorité belge de la concurrence ou à la Commission européenne, cette future formalité ne pourra pas être ignorée compte tenu du pouvoir conféré au Ministre et aux sanctions envisagées.

Champ d’application

La proposition de loi vise à introduire une obligation de notification préalable dans les conditions suivantes :

  1. un investisseur d’un pays non membre de l'UE
  2. réalise un investissement dépassant certains seuils
  3. dans une entreprise belge
  4. qui exerce ses activités soit dans un secteur hautement sensible, soit dans un secteur susceptible d'affecter la sécurité ou l'ordre public.

Les secteurs visés par le champ d'application de la proposition sont :

  • les infrastructures critiques (en ce compris l’énergie, les transports, l'eau, la santé, les communications, les médias, le traitement ou le stockage des données, l'aérospatiale, la défense, les infrastructures électorales ou financières et le installations sensibles, ainsi que les terrains et les biens immobiliers indispensables à l'utilisation de ces infrastructures) ;
  • les technologies critiques, ainsi que certains biens à double usage tels que définis par le règlement (CE) n° 428/2009 (par exemple, les technologies liées à l'intelligence artificielle, à la robotique, aux semi-conducteurs, à la cybersécurité, à l'aérospatiale, à la défense, au stockage de l'énergie, aux technologies quantiques et nucléaires, ainsi qu'aux nanotechnologies et aux biotechnologies) ;
  • la fourniture d'approvisionnements critiques (y compris, entre autres, l'énergie, les matières premières ou la sécurité alimentaire) ;
  • l'accès à des informations sensibles, y compris les données à caractère personnel, et leur contrôle ; et
  • la liberté et le pluralisme des médias.

D’une part, la proposition de loi prévoit que l'investisseur étranger devra notifier le projet d'investissement à la commission de filtrage si l'investissement envisagé permet à l'investisseur étranger d'acquérir directement ou indirectement 10% ou plus des droits de vote dans entité ou de nommer une majorité des administrateurs de l’entité. Le pourcentage des droits de vote est calculé sur une base consolidée. Par conséquent, les droits de vote de toutes les entités liées sont additionnés.

D’autre part, si un investisseur étranger envisage de réaliser un investissement direct étranger sans acquérir de droits de vote dans une entité, l'obligation de notification s'applique également si l'investissement direct étranger a une valeur égale ou supérieure à 4.500.000 EUR.

Procédure devant la commission de filtrage

La proposition de loi prévoit la création d’un service public fédéral, la commission de filtrage, chargée d'examiner les investissements directs étrangers. Ce service est placé sous l'autorité du Ministre fédéral de l'économie.

Après avoir reçu la notification, la commission de filtrage déterminera dans un délai de 21 jours ouvrables s'il est souhaitable de procéder à un examen complémentaire pour la protection de la sécurité nationale ou de l'ordre public. Si la commission de filtrage devait considérer que l'investissement annoncé n'est pas susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale ou à l'ordre public, il en informera immédiatement la partie notifiante. Dès que cette information aura été communiquée, l'investissement pourra être réalisé.

En revanche, si la commission de filtrage estime, après un premier examen de la notification, qu'une enquête approfondie est nécessaire, il recueillera auprès du demandeur ou de tiers toute information pertinente aux fins de cet examen.

À cet égard, la commission de filtrage tiendra compte des avis de la Sûreté de l'État, du Service général de renseignement et de sécurité, du Centre belge de cybersécurité, des services publics compétents, des régulateurs sectoriels et des superviseurs qui contrôlent le secteur stratégique, ainsi que de toute observation formulée par d'autres États membres de l'UE ou par la Commission européenne. Ces instances précitées devront obligatoirement être consultées par la commission de filtrage.

Dans certains cas, une enquête supplémentaire par la commission de filtrage sera toujours requise:

  1. si l'investissement direct étranger est contrôlé directement ou indirectement par une autorité publique, y compris les organismes publics ou les forces armées d'un pays tiers, notamment par sa structure de propriété ou son financement substantiel ;
  2. si l'investisseur étranger a déjà été impliqué dans des activités portant atteinte à la sécurité ou à l'ordre public d'un État membre ;
  3. s'il existe un risque sérieux que l'investisseur étranger se livre à des activités illégales ou criminelles ;
  4. si un Gouvernement régional en fait la demande.

L’enquête supplémentaire devra être clôturée au plus tard six mois après la réception des dernières informations demandées à l'investisseur direct étranger. Après l'avis de la commission de filtrage, le Ministre chargé des Affaires Economiques prend une décision motivée pour soit approuver l’investissement (avec ou sans conditions) soit bloquer celui-ci.

La décision de bloquer l’investissement direct étranger prévu ou d’imposer des conditions supplémentaires ne peut être prise que si elle s’impose pour protéger la sécurité nationale ou l’ordre public.

Si le ministre fédéral de l'économie ne prend pas de décision dans ce délai de six mois, l'investissement prévu sera considéré comme approuvé.

La décision du Ministre imposant des conditions supplémentaires à un investisseur direct étranger ou lui refusant l’autorisation d’effectuer l’investissement peut faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat, à moins que cette décision soit justifiée par des intérêts militaires.

Sanctions

Si la commission de filtrage conclut que la procédure n'a pas été respectée, le Ministre compétent sera autorisé à suspendre les droits de vote attachés à l'investissement direct étranger en question ou l'achat en lui-même, s'il s'agit d'un investissement qui n'est pas lié à l'acquisition de droits de vote, jusqu'à ce que la procédure prévue soit achevée. En outre, l'investisseur direct étranger qui ne respectera pas l'obligation de notification sera sanctionné par une amende administrative comprise entre 1.000 et 100.000 euros.

De plus, si un investissement direct étranger était réalisé en méconnaissance de l'obligation de notification ou en méconnaissance des conditions imposées par la proposition de loi, le Ministre compétent pourra contraindre l'investisseur à transférer l'investissement à une partie agréée par lui dans un délai qu'il déterminera.

Mécanisme de filtrage en Flandre

Depuis le 1er janvier 2019, la Flandre dispose d’un mécanisme de filtrage des investissements directs étrangers mis en place par le Décret flamand sur la gouvernance (« Bestuursdecreet »).

Contrairement au filtrage ex ante, qui sera mis en place au niveau fédéral, le mécanisme flamand prévoit un mécanisme de filtrage ex post pour les investissements directs étrangers dans les institutions gouvernementales flamandes. Le Décret vise particulièrement les entreprises qui sont contrôlées par le gouvernement flamand ou les autorités locales (y compris, par exemple, les agences gouvernementales externes de droit public et les sociétés d'investissement flamandes), et certaines institutions dotées d'une personnalité juridique qui ont été créées dans le but spécifique de répondre aux besoins d'intérêt public.

Le Gouvernement flamand pourra, sous certaines conditions, annuler ou de déclarer inapplicable un acte juridique (par exemple, une cession d’actions ou la conclusion d’un contrat commercial) si, à la suite de cet acte, une société étrangère acquiert le contrôle ou le pouvoir de décision dans une institution gouvernementale flamande, menaçant ainsi les intérêts stratégiques ou l'indépendance stratégique de la Région flamande ou de la Communauté flamande.

Conclusion

Selon l’OCDE, l'Union européenne est le plus grand bénéficiaire d'investissements directs étrangers au niveau mondial. La Commission européenne décrit ceux-ci comme étant essentiels pour la croissance économique, la compétitivité, l'emploi et l'innovation au sein de l’UE. Cependant, les investissements directs étrangers suscitent également certaines craintes, dont la plus importante concerne la prise de contrôle d’entreprises stratégiques ou de champions nationaux par des investisseurs de pays tiers.

Le 26 mars 2020, dans le contexte d’une économie affaiblie par la crise du COVID-19, la Commission européenne a alerté les États membres sur les risques liés à la prise de contrôle d’actifs stratégiques européens par des acteurs tiers. Consciente que la crise de santé publique a exposé un bon nombre d’entreprises à une importante vulnérabilité économique, la Commission encourage de pied ferme les Etats membres à protéger leur sécurité et leur souveraineté économique.

La proposition de loi visant à réguler les investissements directs étrangers en Belgique intervient donc dans une volonté commune des Etats membres de protéger les intérêts stratégiques et les secteurs hautement sensibles de l’UE.

Au niveau de l’UE, le règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des IDE dans l'Union européenne est devenu pleinement applicable à compter du 11 octobre 2020.

De plus, la Commission a déposé le 5 mai 2021 un nouveau projet de règlement pour s'attaquer aux distorsions causées par les subventions étrangères au sein du marché unique. En effet, les subventions accordées par des pouvoirs publics de pays tiers ne sont actuellement soumises à presque aucun contrôle, tandis que les subventions accordées par les États membres font l'objet d'un examen approfondi en vertu des règles européennes en matière d’aides d’Etat.

Pour toute question sur ce sujet, contactez Annabelle Lepièce et Raphaël Brochier.