Le Tribunal de l’UE confirme la légalité d’une aide à l’investissement hongroise en faveur de nouveaux réacteurs nucléaires

Belgique
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La décision de la Commission européenne du 6 mars 2017

En 2014, la Commission européenne a lancé une enquête sur le financement de deux réacteurs nucléaires en Hongrie à la suite de la parution de plusieurs articles de presse y afférents.

Après plusieurs échanges, la Hongrie a notifié en mai 2015 à la Commission européenne le financement de cet investissement devant être réalisé par la société Parks II. La notification qui a été effectuée par souci de sécurité juridique portait sur une mesure considérée comme non constitutive d’aide d’Etat en vertu du principe de l’opérateur privé en économie de marché.

Néanmoins, la Commission a décidé en novembre 2015 d’ouvrir la procédure formelle d’examen en raison de ses doutes sur la qualification de la mesure.

Dans sa décision du 6 mars 2017, Commission a finalement conclu que la mesure hongroise de 12,5 milliards EUR en faveur de la société Paks II constituait une aide d’État mais pouvait être déclarée compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Selon elle, la mesure en cause vise à promouvoir l’énergie nucléaire, poursuit un objectif d’intérêt commun consacré par le traité Euratom tout en contribuant à la sécurité de l’approvisionnement en électricité et toutes les distorsions potentielles sont limitées et contrebalancées par l’objectif commun mis en évidence.

En vue d’obtenir l’autorisation de la Commission, la Hongrie doit respecter les trois engagements suivants afin de limiter toute distorsion potentielle de la concurrence:

  1. Les bénéficies acquis par la société Paks II seront versés à la Hongrie afin de rembourser son investissement ou serviront à couvrir les coûts normaux d’exploitation de Paks II.
  2. Une séparation sur les plans fonctionnel et juridique entre la société Paks II et l’exploitant de la centrale nucléaire de Paks ainsi que ses successeurs doit être mise en place afin d’éviter une concentration sur le marché
  3. Garantir la liquidité du marché en assurant que la société Paks II vendra 30% au moins de sa production totale d’électricité en bourse de l’électricité. Le reste sera vendu de façon objective, transparente et non-discriminatoire aux enchères.

Le recours en annulation de la République d’Autriche

La République d’Autriche a introduit le 21 février 2018 un recours en annulation à l’encontre de la décision de la Commission.

Premièrement, le requérant a fait valoir que l’attribution directe de la construction des nouveaux réacteurs constituant l’aide à l’investissement à la société JSC NIAEP sans qu’aucune procédure de passation de marchés publics ait été mise en place violerait les règles de l’Union, plus précisément les directives 2014/24/UE et 2014/25/UE et entacherait de facto d’illégalité la décision de la Commission.

L’Autriche estime qu’il importe peu de savoir s’il s’agit d’une modalité indissociable ou même d’une modalité de l’aide, dès lors qu’en général, une aide d’état qui viole des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur.

L’Autriche soutient également que l’aide est incompatible avec le marché intérieur en ce que son allocation produit des distorsions disproportionnées de la concurrence et des inégalités de traitement qui conduisent à l’éviction des producteurs d’énergie renouvelable du marché intérieur libéralisé de l’électricité.

L’appréciation du Tribunal de l’UE

Dans son arrêt du 30 novembre 2022, le Tribunal conclut que c’est à bon droit que la Commission relève que la légalité de sa décision en matière d’aides d’État ne dépend pas du respect des directives 2014/24/UE et 2014/25/UE en matière de marchés publics lorsque la sélection d’une autre entreprise pour la construction des réacteurs ne modifierait pas l’appréciation du projet de financement public au regard des règles relatives aux aides d’État. Il n’a pas été démontré que d’autres soumissionnaires auraient pu fournir les deux réacteurs à de meilleures conditions ou à un prix inférieur que la société JSC NIAEP.

Cependant, quand bien même le recours à une procédure d’appel d’offres aurait pu altérer le montant de l’aide, cette circonstance n’aurait eu en soi aucune conséquence sur l’avantage que cette aide constituait pour son bénéficiaire, à savoir la mise à disposition gratuite de deux nouveaux réacteurs en vue de leur exploitation en faveur de la société Paks II.

Par ailleurs, en toute hypothèse, le Tribunal confirme qu’aucune disposition des directives précitées n’a été violée, le respect par la Hongrie de celles-ci a été évalué dans le cadre d’une procédure distincte en manquement. Une obligation de la Commission de prendre position de manière définitive quel que soit le lien entre la modalité d’aide et l’objet de l’aide en cause dans le cadre d’une procédure en matière d’aides, comme le prétendait la République d’Autriche dans ses conclusions, serait contraire d’une part, aux règles et aux garanties procédurales qui sont propres aux procédures spécialement prévues pour le contrôle de l’application de ces dispositions et d’autre part, au principe d’autonomie des procédures administratives et des voies de recours.

S’agissant des moyens tirés par la République d’Autriche sur l’existence de distorsions disproportionnées de la concurrence et d’inégalités de traitement conduisant à l’éviction des producteurs d’énergie renouvelable du marché intérieur libéralisé de l’électricité, le Tribunal rappelle que la CJUE a déjà jugé dans l’affaire Autriche/Commission datant du 22 septembre 2020 qu’un État membre était libre de déterminer la composition de son bouquet énergétique.

Comme l’a relevé à juste titre la Commission, la menace d’une certaine distorsion de la concurrence est inhérente à toute aide. Elle est acceptée jusqu’à un certain point, dans le cadre de l’appréciation de la compatibilité d’une aide destinée à faciliter le développement de certaines activités avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, la limite étant dépassée si cette aide altère les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun.

En confirmant le raisonnement de la Commission, le Tribunal conclut que les effets négatifs résultant éventuellement de l’aide en cause seraient au moins compensés par l’objectif d’intérêt commun poursuivi.

Conclusion

Cette affaire est intéressante à plusieurs égards.

Premièrement, soulignons le caractère exceptionnel des recours en annulation introduits par des Etats membres à l’encontre d’aides accordées par d’autres Etats. Il est utile de rappeler l’Autriche est historiquement l’un des États Membres les plus anti-nucléaires de l’UE. Par ailleurs, la proximité des futures centrales au territoire autrichien a certainement motivé sa décision d’attaquer ce projet devant le Tribunal.

Deuxièmement, cet arrêt confirme la marge de manœuvre très large dont dispose la Commission dans l’appréciation de la compatibilité d’un projet d’aide au marché commun. Les annulations des décisions autorisant des aides d’Etat sont effectivement très rares et généralement justifiées par un défaut de motivation.

Finalement, cet arrêt tranche définitivement la problématique de la légalité d’une aide d’Etat en cas de non-respect du cadre européen en matière des marchés publics. L’imbrication de ces deux cadres juridiques se pose régulièrement en pratique mais c’est la première fois que le Tribunal la traite aussi explicitement. La violation des règles en matière de marchés publics n’a donc pas d’impact sur la légalité de l’aide si la sélection d’une autre entreprise pour le projet concerné ne modifierait pas l’appréciation du projet de financement public au regard des règles relatives aux aides d’État.