Aides d’Etat : la Cour de Justice de l’UE annule la décision de la Commission dans l’affaire des aéroports sardes

Europe
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Le 17 novembre 2022, la Cour de Justice de l’UE a annulé les arrêts du Tribunal de l’UE (« TUE ») du 13 mai 2020 (aff. easyJet (T-8/18), aff. Volotea (T-607/17)) qui avait confirmé une décision de la Commission européenne du 29 juillet 2016 déclarant partiellement incompatible un régime d’aides de la Région de Sardaigne en faveur  des  compagnies aériennes low-cost easyJet (aff. C-343/20), Volotea (aff. C-331/20). Il a également annulé la décision de la Commission en ce qui concerne Volotea et easyJet, car la Commission n’a pas établi l’existence d’un avantage anormal en faveur de ces deux compagnies aériennes.

Antécédents

En 2011, l’Italie avait notifié à la Commission européenne dans le cadre des règles en matières d’aides d’Etat  un régime de financement régional en faveur des exploitants des cinq aéroports sardes pour la période 2010-2013. L’objectif était stimuler le secteur aérien de la Région, notamment en réduisant la saisonnalité des liaisons aériennes.

L’aide notifiée concernait trois mesures distinctes :

  1. La première mesure visait l’augmentation du trafic aérien par les compagnies aériennes dans le cadre de services d’intérêt économique général (« SIEG »). Dans ce cadre, les compagnies aériennes et les gestionnaires d'aéroports définissaient des liaisons d'intérêt stratégique, qualifiées de SIEG (mais hors obligation de service public (« OSP »)) et fixaient des objectifs concernant la fréquence des vols, l’offre de capacité et le nombre de passagers. Ces plans d'activités annuels étaient soumis à l'approbation de la Région. Si les objectifs étaient atteints, une compensation financière était accordée, à défaut des pénalités devant être payées par les compagnies aériennes.
  2. La deuxième mesure visait la promotion de la Sardaigne en tant que destination touristique par les compagnies aériennes. Les plans d'activités susmentionnés devaient inclure des activités de marketing et de publicité visant à augmenter le nombre de passagers et à promouvoir la zone de chalandise de l'aéroport.
  3. La troisième mesure comportait d’autres activités promotionnelles confiées par les exploitants d'aéroports à des tiers fournisseurs de services autres que les compagnies aériennes au nom de la Région.

Dans sa décision du 29 juillet 2016, la Commission considéré que ces différentes mesures, octroyées par l’intermédiaire des exploitants aéroportuaires en faveur de diverses compagnies aériennes constituaient des aides d’État illégales et incompatibles avec le marché intérieur. Les bénéficiaires identifiées étaient Ryanair/AMS, easyJet, Air Berlin, Meridiana, Alitalia, Air Italy, Volotea, Wizzair, Norwegian, JET2.COM, Niki, Tourparade, Germanwings, Air Baltic and Vueling, pour leurs activités à l'aéroport de Cagliari-Elmas airport de celui d’Olbia.

Plusieurs compagnies aériennes ont introduit un recours en annulation à l’encontre de cette décision devant le Tribunal de l’UE (« TUE »)  (à cet égard, voir notre article du 4 juin 2020).

Par ses arrêts du 13 mai 2020 (aff. easyJet (T-8/18), aff. Volotea (T-607/17) et aff. Germanwings (T-716/17)), le TUE a rejeté ces recours et donc confirmé l’approche de la Commission. Ces arrêts ont été attaqués par Volotea et easyJet devant la Cour de Justice de l’UE (« CJUE »)  .

Arrêt de la CJUE

Dans son arrêt du 17 novembre 2022, la CJUE rappelle en premier lieu qu’une mesure d’aide est qualifiée d’aide d’Etat au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE à condition que l’entreprise concerné ait effectivement bénéficié d’un avantage économique anormal, i.e. un avantage qu’un opérateur privé ne pourrait obtenir dans les conditions normales du marché.

En effet, la CJUE précise, conformément à sa jurisprudence constante, qu’un tel avantage existe en présence de « toute mesure étatique qui, quels qu’en soient la forme et les objectifs, est susceptible de favoriser directement ou indirectement une ou plusieurs entreprises, ou qui accorde à celles-ci un avantage qu’elles n’auraient pas pu obtenir dans des conditions normales de marché ».

La CJUE rappelle que la caractérisation de l’existence d’un tel avantage se fait par le biais du principe de l’opérateur privé en économie de marché, sauf dans le cas où il n’existe aucune possibilité de comparer le comportement de l’entité publique octroyante dans un cas donné à celui d’un opérateur privé. Tel serait le cas où le comportement de l’entité publique est indissociablement lié à l’existence d’une infrastructure qu’aucun opérateur privé n’aurait jamais pu constituer, ou que l’État a agi en sa qualité de puissance publique.

La CJUE indique cependant que le seul exercice de la puissance publique, comme par exemple le recours à des moyens de nature législative ou fiscale, n’entraîne pas, en lui-même, l’inapplicabilité de du principe de l’opérateur privé. En effet, la CJUE considère que le facteur déterminant à prendre en compte est la nature économique de l’intervention étatique en cause et non les moyens mis en œuvre à cette fin.

De plus, selon la CJUE, cet exercice juridique implique que « la Commission démontre, au terme d’une appréciation globale prenant en considération tous les éléments pertinents du cas d’espèce, que l’entreprise ou les entreprises bénéficiaires de la mesure étatique en cause n’auraient manifestement pas obtenu un avantage comparable de la part d’un opérateur privé normalement prudent et diligent se trouvant dans une situation aussi proche que possible et agissant dans des conditions normales de marché. Dans le cadre de cette appréciation globale, la Commission doit tenir compte de l’ensemble des options qu’un tel opérateur aurait raisonnablement envisagées, de tout élément d’information disponible et susceptible d’influencer de façon significative sa décision ainsi que des évolutions prévisibles à la date où la décision d’accorder un avantage a été prise ».

En particulier, la Commission doit apprécier si, à cette date, l’opération par laquelle l’avantage a été conféré pouvait être considérée comme présentant une rationalité économique, commerciale et financière, compte tenu de ses perspectives de rentabilité à court terme ou à plus long terme ainsi que des autres intérêts commerciaux ou économiques qu’elle comportait.

La CJUE souligne également que, dans le cas où la Commission ouvre une procédure relative à une mesure étatique et adopte, au terme de celle-ci, une décision dans laquelle elle qualifie cette mesure d’« aide d’État », c’est à la Commission qu’il incombe de prouver, dans sa décision, l’existence d’une telle aide et donc, notamment, que ladite mesure accorde un avantage à l’entreprise ou aux entreprises qui en bénéficient, en se fondant, au terme d’une enquête qui doit avoir été conduite de manière diligente et impartiale, sur les éléments les plus complets et les plus fiables possibles pour ce faire.

Dans le cas d’espèce, la CJUE a jugé que le TUE n’avait pas examiné si la Commission avait effectivement déterminé si les contrats de prestation de services conclus entre les exploitants aéroportuaires et les compagnies aériennes constituaient des opérations normales de marché. En effet, le TUE avait jugé, à tort, que le principe de l’opérateur privé en économie de marché n’était pas applicable en ce que la Région autonome sarde, agissant par l’intermédiaire d’exploitants privés aéroportuaires, poursuivait des objectifs de politique publique.

En outre, selon la CJUE, le TUE a commis une erreur en droit en considérant que les compagnies aériennes avaient bénéficié d’un avantage au motif que « la rémunération qui leur avait été versée en application de ces contrats ne constituait pas la contrepartie de services satisfaisant de véritables besoins dans le chef de la Région autonome et que lesdits contrats avaient par ailleurs été conclus par les exploitants aéroportuaires en cause sans mise en œuvre préalable d’une procédure d’appel d’offres ou d’une procédure équivalente ».

Au vu de ces arguments, la CJUE a annulé les arrêts du TUE et la décision de la Commission. Cette dernière doit maintenant adopter une nouvelle décision à la lumière des considérations de la Cour.

Conclusion

Cette jurisprudence remet en question l’interprétation très restrictive de la Commission européenne à l’égard des mesures de soutien public accordées directement ou indirectement par les autorités publiques aux compagnies. Elle contraint en effet la Commission à examiner systématiquement l’application du principe de l’opérateur privé aux mesures publiques visées par son enquête même lorsque l’Etat concerné n’en invoque pas l’application.

Par ailleurs, la Cour rappelle un principe de droit fondamental : il revient à la Commission de démontrer l’existence d’un avantage économique anormal et non au bénéficiaire d’une mesure de prouver son absence…

Relevons que d’autres arrêts concernant cette problématique fondamentale pour le développement des liaisons aériennes sont attendus dans les mois qui viennent.

Nous vous tiendrons au courant de ces évolutions.

N’hésitez pas à nous contacter pour tout renseignement complémentaire.