A partir du 1er juillet 2023, les investisseurs non européens devront notifier à un comité interfédéral de filtrage leurs projets d'investissement dans une entreprise belge active dans un secteur hautement sensible ou susceptible d'affecter la sécurité, l'ordre public ou les intérêts stratégiques des Régions et des Communautés.
Trois ans après l’adoption du Règlement (UE) 2019/452 du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union européenne, les différents Gouvernements compétents concluaient le 1er juin 2022 un projet d’accord de coopération qui vise à mettre en place en Belgique un mécanisme de filtrage des investissements directs étrangers. Après la ratification formelle de cet accord par tous les parlements compétents, ce mécanisme de filtrage entrera en vigueur le 1er juillet 2023. Une proposition de lignes directrices a été publiée le 31 mai 2023 pour clarifier certains aspects du mécanisme.
L’objectif est d’introduire un mécanisme obligatoire de notification ex ante à un comité interfédéral de filtrage (« CIF ») pour les projets d'investissements envisagés par des investisseurs non européens dans une entreprise belge exerçant ses activités soit dans un secteur hautement sensible, soit dans un secteur susceptible d'affecter la sécurité ou l'ordre public.
Actuellement, en Belgique, seule la Région flamande dispose d’un contrôle limité a posteriori des investissements étrangers dans les actifs (semi-) publics stratégiques de la Flandre en vertu du décret du 7 décembre 2018.
Le futur mécanisme de contrôle sera de nature à impacter le processus des projets d'acquisition d'investisseurs étrangers en Belgique. A l'instar de l'obligation de notification préalable des projets de concentration à l'Autorité belge de la concurrence ou à la Commission européenne, cette formalité ne pourra pas être ignorée compte tenu du pouvoir conféré au comité interfédéral et des sanctions qui pourront être infligées en cas de non-respect de la procédure de notification.
Création d’un comité interfédéral de filtrage
En raison du chevauchement des compétences fédérales (maintien de l’ordre public et de la sécurité nationale) et des compétences des entités fédérées (par exemple, la compétence régionale de promotion de l’investissement), un accord de coopération devait être conclu par le Gouvernement fédéral et les Gouvernements de toutes les entités fédérées afin d’organiser le processus de filtrage des IDE.
Par ailleurs, pour éviter une fragmentation du contrôle qui pourrait dissuader les investisseurs, le filtrage sera effectué par un comité interfédéral de filtrage agissant comme un guichet unique (« one-stop-shop ») et qui sera composé de représentants des différents Gouvernements belges.
Champ d’application
Le nouveau mécanisme impose une obligation de notification préalable à:
- un investisseur d’un pays non membre de l'UE (en ce compris la Suisse, la Norvège, L’Islande et le Liechtenstein) ;
- réalisant un investissement dépassant certains seuils (représentant 10% ou 25% (selon les activités) des actions d'une entreprise) ;
- dans une entreprise belge ;
- qui exerce ses activités soit dans un secteur hautement sensible, soit dans un secteur susceptible d'affecter la sécurité ou l'ordre public.
Seuls les investissements dans des entreprises belges existantes doivent être notifiés. Les investissements dits « greenfields » ne sont pas visés par le mécanisme de screening.
Le mécanisme de screening vise deux catégories d’investissements :
1. Premièrement, les investissements visant à acquérir directement ou indirectement 25 % ou plus des droits de vote dans une entité belge (indépendamment de la taille ou du chiffre d'affaires de l'entreprise cible) active dans les secteurs suivants :
- les infrastructures critiques relatives à l’énergie, transports, eau, santé, communications électroniques et infrastructures numériques, médias, traitement des données, aérospatiale, défense, infrastructures électorales, infrastructures financières, etc. ;
- Les technologies ou les matières premières qui revêtent une importance essentielle pour la sécurité publique, la défense, l’ordre public, les produits à double usage et les technologies d'importance stratégique (p. ex., l'intelligence artificielle, la robotique, les semi-conducteurs et la technologie nucléaire)
- la fourniture de biens élémentaires liés à la sécurité alimentaire, à l'énergie ou aux matières premières ;
- l’accès aux informations sensibles ou contrôle de celles-ci, y compris les données à caractère personnel ;
- le secteur de la sécurité privée ;
- la liberté et le pluralisme des médias ;
- les technologies d'intérêt stratégique dans le secteur de la biotechnologie*
* Les transactions dans le secteur de la biotechnologie ne tombent sous le champ d’application du mécanisme de filtrage qu'à condition que le chiffre d'affaires de la cible au cours de l'exercice précédant l'acquisition de 25 % ou plus des droits de vote dépasse EUR 25 millions.
2. Deuxièmement, les investissements visant à acquérir directement ou indirectement 10% des droits de vote dans une entité belge ayant un chiffre d'affaires annuel d’au moins EUR 100 millions au cours de l’exercice précédant l’acquisition des droits de vote et qui est active dans les domaines suivants :
- la défense (y compris les biens à double usage) ;
- l’énergie ;
- la cybersécurité ;
- les communications électroniques ; ou
- les infrastructures numériques.
Procédure devant le comité interfédéral de filtrage
En cas de dépassement des seuils précités, l’investissement envisagé ne pourra pas être réalisé avant le feu vert définitif du CIF. Aucun coût n’est imposé pour la notification.
La procédure prévue par l’accord de coopération est la suivante :
- Phase préliminaire
Après dépôt du dossier de notification par l’investisseur étranger, le secrétariat du CIF vérifiera si le dossier est complet et pourra, si nécessaire, demander des informations complémentaires. Une fois que le secrétariat disposera de tous les documents nécessaires à la conduite de l'enquête, il communiquera le dossier aux membres du CIF.
II. Procédure d'évaluation
Lors de la phase d’évaluation, les membres du CIF examineront si l'opération notifiée pourrait avoir un impact sur la sécurité nationale, l'ordre public ou les intérêts stratégiques de l’Etat fédéral, des Régions et des Communautés.
Au terme de cette procédure, le CIF pourra soit autoriser l’opération, soit, lorsque l’opération soulève certaines préoccupations, décider de soumettre l’opération à un examen plus approfondi.
La décision d’autorisation ou d’ouverture de la procédure d’examen approfondi devra intervenir dans les 40 jours à compter de la réception du dossier complet par le secrétariat du CIF. Si aucune décision n’intervient endéans ce délai, l'opération pourra être mise en œuvre.
III. Procédure d'examen préalable
La phase d'examen préalable aura pour objectif d’approfondir l’analyse des risques effectuée lors de la phase d’évaluation individuelle par chacun des membres compétents du CIF.
Les membres du CIF disposeront d’un premier délai de 14 jours ouvrables à partir de l’ouverture de la procédure d’examen préalable pour préparer et remettre leur avis aux ministres qu’ils représentent. Lorsque l’opération s’avèrera complexe, ce délai pourra toutefois être prolongé pour permettre à l’investisseur étranger de fournir des commentaires écrits, d’organiser des auditions orales et de proposer des négociations sur les mesures d'engagements qui lui permettraient d'émettre un avis positif.
Au terme de la procédure, le CIF recommandera aux ministres concernés, soit d’approuver (avec ou sans conditions), soit de bloquer l’opération.
Dès la réception de l’avis du CIF, les ministres concernés auront un délai de 6 jours calendrier pour présenter leurs observations quant à leurs compétences respectives et rendre leur décision quant à l’opération envisagée.
Le CIF disposera alors d’un délai supplémentaire de 14 jours calendrier pour notifier la décision finale à l'investisseur étranger tenant compte des différentes observations des ministres concernés. Dans l’hypothèse où l’opération relèvera de la compétence de plus d'une entité fédérée, une décision unanime devra être prise pour interdire l'investissement étranger, sans préjudice de la possibilité pour le ministre fédéral de décider - dans le cadre de ses compétences - d'interdire l'investissement étranger.
Si aucune décision ne sera prise endéans le délai légal, l’opération pourra être réalisée.
Un investisseur étranger pourra faire appel d'une décision négative de l'CIF auprès de la Cour des Marchés à Bruxelles.
Critères d’évaluation : l’atteinte de l’ordre public, de la sécurité nationale et sauvegarde des intérêts stratégiques
Lors de la procédure de filtrage, le CIF examinera si l’investissement étranger ne risquera pas :
- de porter atteinte à la continuité des processus vitaux des secteurs susmentionnés, qui, en cas de défaillance ou de perturbation, entraînerait de graves perturbations sociétales et constituerait une menace pour la sécurité nationale, les intérêts stratégiques et la qualité de vie de la population belge ;
- de porter atteinte à l’intégrité ou à l’exclusivité des connaissances et des informations associées à ces processus vitaux et à la haute technologie sensible nécessaire à cette fin ;
- de créer ou de favoriser des dépendances stratégiques.
Sanctions
Un investisseur étranger qui ne respectera pas la procédure de notification s’exposera à des amendes administratives pouvant atteindre 10 % ou 30 % (selon la nature de la violation) du montant de l'investissement.
Conclusion
La Commission européenne considère les investissements étrangers comme essentiels pour la croissance économique, la compétitivité, l'emploi et l'innovation au sein de l’UE. Cependant, les investissements directs étrangers suscitent également des craintes, dont la plus importante concerne la prise de contrôle d’entreprises stratégiques ou de champions nationaux par des investisseurs de pays tiers.
Le 26 mars 2020, dans le contexte d’une économie affaiblie par la crise du COVID-19, la Commission européenne a alerté les États membres sur les risques liés à la prise de contrôle d’actifs stratégiques européens par des acteurs tiers. Consciente que la crise de santé publique a exposé un bon nombre d’entreprises à une importante vulnérabilité économique, la Commission encourage de pied ferme les Etats membres à protéger leur sécurité et leur souveraineté économique.
Le nouveau mécanisme belge de filtrage des investissements directs s’inscrit donc dans une volonté commune des Etats membres de protéger les intérêts stratégiques et les secteurs hautement sensibles de l’UE. Précisons que dix-huit Etats membres de l’UE ont déjà adopté de tels mécanismes similaires de filtrage des investissements directs étrangers.
Il est important de préciser que le screening des investissements directs étrangers aura avoir une influence non négligeable sur les opérations de concentration réalisées en Belgique.
Etant donné que le champ d’application du projet d’accord de coopération est défini de manière large, un grand nombre d’investissements étrangers seront soumis à l’obligation de notification devant le CIF. En effet, le financement d’une entreprise active dans les secteurs jugés sensibles peut, quel que soit son chiffre d’affaires, tomber sous le contrôle du CIF.
Tout comme le contrôle des concentrations, le screening d’un investissement étranger par le CIF aura pour effet de rallonger le processus de concentration en Belgique. Toutefois, les opérations réalisées avant l’entrée en vigueur de l’accord de coopération sont exemptées de notification.
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