Entrée en vigueur du Livre 6 du Code civil sur la responsabilité extracontractuelle : impact de la suppression de la quasi-immunité des sous-traitants sur le secteur immobilier

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Le nouveau Livre 6 du Code civil, relatif à la responsabilité extracontractuelle, est entré en vigueur le 1er janvier 2025. La nouvelle législation abolit la quasi-immunité des agents d’exécution, désormais appelés « auxiliaires » (en ce compris les sous-traitants), ce qui entraînera des conséquences potentiellement importantes pour le secteur immobilier.

1.     Régime ancien : la quasi-immunité des sous-traitants

Sous l’ancien régime, les agents d’exécution intervenants dans l’exécution d’un contrat bénéficiaient d’une protection dite de « quasi-immunité ». Dans le domaine de la construction, cette quasi-immunité vise notamment le sous-traitant de l’entrepreneur, -vis-à-vis du maître d’ouvrage.

En effet, selon la jurisprudence élaborée par la Cour de cassation, le sous-traitant n’est ni partie au contrat entre le maître d’ouvrage et l’entrepreneur, ni totalement tiers dans cette relation, en sorte que le maître d’ouvrage ne pouvait engager ni la responsabilité contractuelle, ni la responsabilité extracontractuelle dudit sous-traitant.

Par exception (d’où la « quasi »-immunité), le maître d’ouvrage pouvait toutefois engager la responsabilité extracontractuelle du sous-traitant lorsque les conditions du concours de responsabilité se trouvaient réunies, à savoir :

(i)     l’existence d’une faute qui constitue non seulement une violation contractuelle, mais également une violation d’une obligation s’imposant à tous (autrement dit une faute « mixte », à la fois contractuelle et extracontractuelle) ;

(ii)    l’existence d’un dommage autre que celui qui résulte de l’inexécution du contrat.

Dans la pratique, les conditions étaient rarement satisfaites, laissant le maître d’ouvrage sans recours direct contre le sous-traitant. Cette situation posait notamment problème en cas de faillite de l’entrepreneur principal : même en cas de faute grave du sous-traitant dans l’exécution des travaux, le maître d’ouvrage ne pouvait obtenir réparation ni du sous-traitant, ni de l’entrepreneur insolvable.

Rappelons également qu’à l’inverse, le sous-traitant dispose d’une action directe contre le maître d’ouvrage, pour le paiement de ses honoraires. Cette action directe est organisée par l’article 1798 de l’ancien Code civil et par l’article 5.110 du Code civil.

2.     Le nouveau régime : recours du maître d’ouvrage contre le sous-traitant

A partir du 1er janvier 2025, le maître d’ouvrage lésé dispose d’un potentiel recours extracontractuel contre le sous-traitant de son entrepreneur, en cas de faute dans l’exécution des travaux. Le maître d’ouvrage pourra donc se retourner directement contre le sous-traitant, même en l’absence de lien contractuel direct. Ce changement fondamental est inscrit à l’article 6.3, §2 du nouveau Livre 6 du Code civil. Ce mécanisme vise à renforcer la position du maître de l’ouvrage et à lui offrir un moyen de recours lorsque l’entrepreneur principal est insolvable ou défaillant.

Il s’agit cependant bien d’un recours extracontractuel en cas de faute extracontractuelle, puisque l’article 6.3, §2 rend applicables « les dispositions légales en matière de responsabilité extracontractuelle ». Il faut donc qu’il y ait un fait générateur de responsabilité au titre de ces dispositions.

Ce nouveau régime va toutefois de pair avec de nombreux moyens de défense et exceptions que le sous-traitant peut invoquer pour résister à sa mise en cause. Le sous-traitant peut ainsi se prévaloir :

  • des clauses du contrat principal entre le maître d’ouvrage et l’entrepreneur principal ;
  • des clauses de son propre contrat avec l’entrepreneur principal ;
  • des dispositions du droit commun des contrats d’entreprises ;
  • des règles de prescription applicables au contrat.

Cela peut par exemple inclure des clauses de limitation de responsabilité, ou encore des clauses d’exonération pour certains types de dommages. Il s’agit donc de moyens de défense contractuels pour résister à une responsabilité extracontractuelle.

L’article 6.3, §2 précise d’ailleurs expressément qu’il ne s’applique que « sauf si la loi ou le contrat en dispose autrement ». Ce point peut par conséquent être anticipé par les parties lors de la rédaction des contrats.

Selon le régime transitoire prévu, les nouvelles règles s’appliquent à tous les faits générateurs de responsabilité qui surviennent après l’entrée en vigueur du Livre 6, et ne s’appliquent pas aux effets futurs de faits survenus avant son entrée en vigueur.

Ce régime transitoire d’apparence simple suscite déjà de nombreuses controverses en matière de concours de responsabilité et de responsabilité des auxiliaires. En effet, de nombreux faits générateurs de responsabilité peuvent survenir aujourd’hui – en étant donc soumis au Livre 6 – sans que le contrat conclu antérieurement n’ait anticipé cette situation. Les parties n’ont donc pas pu exclure l’application de la responsabilité extracontractuelle, comme la loi les y autorise, puisqu’elles ne connaissaient forcément pas encore le nouveau régime.

Nous sommes dès lors à votre disposition pour analyser les impacts du nouveau régime et ses effets éventuels dans le cadre de contrats existants.