Réforme des marchés publics : bref aperçu des principaux apports de la nouvelle ordonnance | Flash info Contrats publics

France

Référence : ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics

L’ordonnance du 23 juillet 2015, publiée au Journal officiel du 24 juillet, procède à une refonte des dispositions régissant les marchés publics et les contrats de partenariat.

Elle entrera en vigueur au plus tard le 1er avril 2016. Les décrets d’application à venir en fixeront la date précise.

Cette ordonnance a pour vocation de transposer les directives n° 2014/24/UE et 2014/25/UE du 26 février 2014 relatives, respectivement, aux marchés publics et aux marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux. Mais elle entend également, à cette occasion, simplifier le droit applicable en matière de marchés publics et de "partenariats public-privé" ("PPP"), aujourd’hui contenu dans divers textes, dont principalement le Code des marchés publics, l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics, l’ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat et leurs décrets d’application.

A ce titre, la nouvelle ordonnance apporte quelques aménagements remarquables au droit existant, qu’il est possible de mettre ici rapidement en exergue, sans prétendre à l’exhaustivité et encore moins à un examen détaillé.

1 - Une évolution des catégories juridiques

Tout d’abord, les "marchés publics" comprennent désormais, en tant que catégorie juridique, les marchés et les accords-cadres. Par ailleurs, les anciens "contrats de partenariat" deviennent des "marchés de partenariat" et, ce faisant, des marchés publics (ce qu’ils étaient déjà au regard du droit de l’Union européenne). Conséquence pratique, il devient par exemple possible d’avoir recours aux accords-cadres en matière de PPP. Ces nouveaux marchés de partenariat absorbent toutes les formes de PPP : il n’est en effet plus possible de recourir aux baux emphytéotiques administratifs ou aux autorisations d’occupation du domaine public comme substituts aux contrats de commande publique.

Ensuite, tous les marchés publics passés par des personnes morales de droit public sont qualifiés de "contrats administratifs ". Il n’est donc plus nécessaire de se référer aux critères dégagés par la jurisprudence pour déterminer la nature des marchés passés par les EPIC et les personnes publiques sui generis (groupements d’intérêt public, Banque de France notamment), et partant au régime des contrats administratifs et à la compétence du juge administratif.

Enfin, une série de notions fait l’objet d’une définition précise, inspirée ou transposée des directives "commande publique" du 26 février 2014. A cet égard, "opérateurs économiques", "candidats" et "soumissionnaires" font l’objet d’une définition nouvelle.

2 – La transposition des exclusions du champ de l’ordonnance issues de la directive

Les directives n° 2014/24/UE et 2014/25/UE du 26 février 2014 prévoient des exclusions sectorielles du champ d’application des règles de marchés publics, exclusions qui ont été largement transposées mais pas entièrement (ce qui est permis par le droit de l'Union). Ainsi, si les prêts sont exclus du champ des marchés publics, qu’ils soient liés ou non à des instruments financiers, les services juridiques de représentation en justice par un avocat et le conseil juridique en vue de la préparation d’une procédure contentieuse demeurent soumis aux règles des marchés publics.

L’ordonnance transpose également les exclusions applicables aux relations internes au secteur public, les deux premières étant cantonnées aux pouvoirs adjudicateurs :

  • En premier lieu, conformément à la théorie du "in house", qualifiée de "quasi-régie", les contrats attribués à des organismes dépendant des pouvoirs adjudicateurs sont exclus du champ d’application de l’ordonnance, dans une conception étendue par rapport au régime jurisprudentiel antérieur ;
  • En deuxième lieu, les pouvoirs adjudicateurs peuvent, sous certaines conditions, passer des contrats sans être soumis aux règles des marchés publics lorsque leur coopération public/public horizontale est destinée à garantir le fonctionnement des services publics dont ils ont la responsabilité ;
  • En troisième lieu, les entités adjudicatrices bénéficient de dispositions spécifiques pour les marchés qu’elles attribuent à une entreprise liée ou à une coentreprise.

3 – Des évolutions à ce stade limitées en matière de passation des marchés publics

Dans la perspective assumée de faciliter l’accès des PME aux marchés publics, l’ordonnance consacre une obligation générale d’allotissement. Cette obligation s’impose désormais à tous les acheteurs, y compris ceux auparavant soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005. Cependant, la possibilité offerte aux opérateurs économiques de "présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d’être obtenus" est de nature à assouplir la rigueur de cette obligation.

La dématérialisation de l’ensemble des procédures en cas de dépassement du seuil européen est également prévue à l’horizon 2018. Elle s’accompagnera de la création de formulaires d’avis de publicité simplifiés, standardisés et entièrement électroniques.

En principe, la passation d’un marché public dépassant un seuil, qui sera fixé par voie réglementaire, est préalablement soumise à une évaluation de la réalisation du projet. Cependant, en se référant aux dispositions actuellement en vigueur, ce seuil devrait être assez élevé.

Des interdictions de soumissionner élargies et renforcées par rapport aux dispositions actuellement en vigueur sont listées par l’ordonnance. Elles sont néanmoins susceptibles d’une dérogation pour raisons impérieuses d’intérêt général.

L’ordonnance se contente d’annoncer les procédures de mise en concurrence. Elle ne fait ainsi que citer la nouvelle procédure concurrentielle avec négociation dont on peut s’attendre toutefois à ce qu’elle constitue une procédure beaucoup plus aisément utilisable que les anciennes procédures négociées.

4 – La consécration des marchés publics globaux

Traditionnellement, les marchés globaux se subdivisent entre les marchés sans financement par le secteur privé et les marchés où un tel financement est possible, ces derniers étant constitués des marchés de partenariat (sauf exception pour certains pouvoirs adjudicateurs ou dans le cadre des marchés de défense et de sécurité). En dehors de ces marchés de partenariat, l’ordonnance consacre donc une catégorie de "marchés publics globaux". La principale nouveauté réside dans la création des marchés globaux de performance dont le régime juridique déroge à la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique du 12 juillet 1985 et à l’obligation générale d’allotissement. Il s’agit cependant de marchés sans financement privé car l’interdiction de paiements différés s’applique, du moins pour l’Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics.

5 – Un strict encadrement du recours aux marchés de partenariat

Dans sa nouvelle conception, le marché de partenariat peut ne porter que sur la réalisation et le financement d’un projet lié à un service public ou à une mission d’intérêt général. De manière optionnelle, il est possible d’adjoindre à cette mission de base des activités de conception d’ouvrage, d’exploitation-maintenance et de gestion du service public. Tous les acheteurs, à l’exception des organismes divers d’administration centrale (ODAC), des établissements publics de santé et des structures de coopération sanitaire dotées de la personnalité morale publique, peuvent conclure des marchés de partenariat.

Néanmoins, le lancement d’une procédure de passation d’un marché de partenariat est conditionné à la réalisation d’une évaluation du mode de réalisation du projet (en pratique par la Mission d’appui aux partenariats public-privé ou son successeur) et à l’établissement d’une étude de soutenabilité budgétaire (par les services de la direction des finances publiques).

Par ailleurs, le recours à un marché de partenariat est soumis à une double condition. D’une part, l’acheteur doit démontrer que le recours à un tel contrat présente "un bilan plus favorable, notamment sur le plan financier, que celui des autres modes de réalisation du projet". D’autre part, et alors que dans sa dernière mouture, le projet d’ordonnance l’avait écarté, la valeur du marché doit dépasser un seuil fixé par voie réglementaire (condition réintroduite lors de l’examen du texte par le Conseil d’Etat, en fonction de l’interprétation donnée à la loi d’habilitation ayant permis de prendre l’ordonnance). Ce seuil, ou plutôt ces seuils, seront fonction "de la nature et de l’objet du contrat, des capacités techniques et financières de l’acheteur et de l’intensité du risque encouru". Ainsi, le décret d’application devrait vraisemblablement prévoir une grille de seuils applicables.

6 – Des précisions sur le régime juridique des marchés de partenariat

Dans le cadre du marché de partenariat, la personne publique peut participer au financement des investissements en détenant une participation minoritaire au capital du titulaire du marché. Cette disposition ne va pas sans rappeler les possibilités offertes par la société d’économie mixte à opération unique («SEMOP») instituée par laloi n°2014-744 du 1er juillet 2014 , mais exclue en matière de contrats de partenariat

Lorsque le marché de partenariat emporte occupation du domaine public, le titulaire du marché peut, sur autorisation de l’acheteur, procéder à des cessions de biens en vue de valoriser une partie du domaine. En ce qui concerne les modalités d’aliénation, il a été décidé de procéder à des "cessions en cascade". En d’autres termes, les biens du domaine public devront préalablement être cédés au titulaire pour que celui-ci puisse les céder à son tour.

L’une des nouveautés remarquables de la réforme concerne les modalités d’indemnisation en cas de remise en cause judiciaire du contrat : ces modalités peuvent désormais faire l’objet d’une clause particulière réputée divisible. Cette disposition était particulièrement attendue des financeurs. Mais la rédaction finalement retenue paraît quelque peu en retrait au regard de ces attentes. L’indemnisation, qui a vocation à être versée en cas d’annulation, de résolution ou de résiliation judiciaire du contrat, est destinée à couvrir "les dépenses engagées conformément au contrat, parmi lesquelles peuvent figurer les frais financiers liés au financement mis en place dans le cadre de la mission globale confiée au titulaire, à condition qu’elles aient été utiles à l’acheteur. Cette prise en compte des frais financiers est subordonnée à la mention, dans les annexes du marché de partenariat, des clauses liant le titulaire aux établissements bancaires".

L’ordonnance du 23 juillet 2015 marque le premier jalon de la transposition des directives européennes marchés publics et concessions du 26 février 2014. Les décrets d’application –vraisemblablement au nombre de deux, l'un de "droit commun" (pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices, l'autre spécifique aux "marchés de défense ou de sécurité" - devraient être publiés dans les prochains mois, après une phase de concertation. Par ailleurs, le Gouvernement a diffusé, dans le cadre d’une autre concertation publique qui s’achèvera le 30 septembre 2015, un projet d’ordonnance et un projet de décret relatifs aux contrats de concession en vue de transposer la directive n°2014/23/UE du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de concession.

Dans cette perspective, CMS Bureau Francis Lefebvre publiera prochainement une étude plus approfondie sur l’ordonnance relative aux marchés publics et organisera le 13 octobre prochain un forum sur la transposition des directives.