La création des réseaux hospitaliers locorégionaux soumise au contrôle des concentrations

Belgique

L’Autorité belge de la Concurrence a publié le 22 juillet 2020 sa position concernant l’application du contrôle des concentrations aux réseaux hospitaliers locorégionaux.

Ce document fait suite à des questions du secteur hospitalier concernant l’interaction entre le droit de la concurrence et la loi du 28 février 2019 modifiant la loi coordonnée du 10 juillet 2008 relative aux hôpitaux et autres établissements de soins en ce qui concerne le réseautage clinique entre hôpitaux et sa mise en œuvre effective.

Ces interrogations, bien légitimes, ont trait à l’objet même de cette réglementation : il s’agit en particulier d’organiser, entre plusieurs hôpitaux, l’offre de soins locorégionales sur le territoire du réseau. Elles touchent au-delà, à la transposition de notions de droit de la concurrence au secteur particulier des hôpitaux. A ce titre, nous retiendrons notamment, pour illustrer la complexité que revêt le droit appliqué à l’hôpital, qu’à la notion de « fusion » au sens de la réglementation sur les hôpitaux, qui était déjà distincte de la notion de « fusion », connue en droit des sociétés, vient s’y ajouter aujourd’hui, aux termes de l’analyse de l’Autorité de la concurrence, la notion de « fusion de fait » au sens du droit de la concurrence. Le juriste hospitalier pourrait y perdre son latin….

Dans son document du 22 juillet 2020, l’Autorité belge de la Concurrence rappelle sa compétence pour l’examen des concentrations d’une certaine ampleur et des collaborations entre hôpitaux au regard du droit de la concurrence.

En effet, les hôpitaux sont soumis à ces contraintes car ils constituent des entreprises au sens du droit de la concurrence dans la mesure où ils offrent des services moyennant rémunération supportée par les patients ou leurs assurances.

Après une enquête informelle et l’examen de la loi du 28 février 2019, l’Autorité considère que la mise en place d’un réseau hospitalier peut entrainer un changement durable de contrôle, notamment au regard de la mise en place et du fonctionnement des réseaux hospitaliers locorégionaux qui impliquent l’exercice d’une influence décisive sur les décisions stratégiques des différents hôpitaux individuels qui en font partie. Ce changement de contrôle concerne au moins les missions de soins locorégionales, qui représentent la majorité des missions de soins de chaque hôpital et probablement également les missions de soins suprarégionales (sauf preuves solides démontrant l’indépendance des hôpitaux pour l’offre des missions de soins suprarégionales).

L’analyse de l’étendue de la concentration et dès lors l’ampleur du contrôle de l’Autorité doit se faire au cas par cas sur la base de l’ensemble des éléments de faits et des circonstances particulières à chaque situation et notamment en fonction des statuts de chaque réseau.

Différentes formes de concentrations peuvent être envisagées :

  • l’acquisition d’un contrôle exclusif si l’un des membres du réseau peut exercer une influence décisive sur celui-ci et notamment via la détention de la majorité des droits de vote ;
  • l’existence d’un contrôle en commun en raison d’un droit de veto sur les décision stratégiques du réseau ;
  • la création d’une fusion de fait entre les hôpitaux lorsque le réseau permet la mise en place d’une gestion économique en commun en telle sorte que les hôpitaux du réseau constituent en réalité une seule entité économique.

A l’issue de son enquête informelle, l’Autorité belge de la Concurrence a conclu que la loi du 28 février 2019 précitée n’excluait pas l’application des règles applicables au contrôle des concentrations à la création des réseaux hospitaliers locorégionaux.

Une attention particulière doit dès lors être portée au niveau de chaque réseau au regard de la mise en place et de leur fonctionnement.

L’Autorité belge de la Concurrence est compétente pour examiner avant leur mise en œuvre les concentrations qui atteignent les seuils de chiffre d’affaires suivants :

  • les entreprises totalisent ensemble en Belgique un chiffre d’affaires de plus de 100 millions EUR ; et
  • au moins 2 des entreprises réalisent chacune en Belgique un chiffre d’affaires d’au moins de 40 millions EUR.

Relevons que la notification à l’Autorité doit s’effectuer avant la mise en œuvre du projet de concentration et le projet ne peut être implémenté avant qu’il ne soit déclaré admissible. En cas de violation de cette obligation de notification ou de suspension du projet de concentration pendant la procédure, l’Autorité belge de la Concurrence peut imposer des amendes s’élevant jusqu’à 10% du chiffre d’affaires total des entreprises concernées et des astreintes s’élevant jusqu’à 5% de leur chiffre d’affaires total journalier moyen. Bien que rares, de telles sanctions ont déjà été imposées par le passé.

Dès lors, cette obligation ne peut être ignorée par les hôpitaux dans le cadre de leurs discussions actuelles car la procédure formelle de notification dure, dans les meilleurs cas, de trois à cinq semaines en fonction des « parts de marché » des entreprises concernées – ce terme paraissant une hérésie dans le secteur des soins de santé – et doit être précédée de contacts informels avec l’Autorité pouvant prendre de quelques semaines à plusieurs mois pour préparer le dossier. Ces délais peuvent être prolongés en cas de risque d’affectation significative de la concurrence qui implique la présentation par les parties notifiantes d’engagements structurels (cession de filiales, d’actifs, etc.) ou comportementaux (modification de conditions contractuelles, séparation fonctionnelle, etc.).

Concernant le timing de la notification dans le cadre de la création d’un réseau hospitalier, l’Autorité a pu préciser dans son document du 22 juillet 2020 que la concentration n’avait pas lieu au moment de la décision de créer le réseau hospitalier locorégional car toutes les modalités de fonctionnement du réseau pertinentes pour son analyse, à savoir les statuts, les membres de l’organe de gestion et les règles de décision au sein de l’organe de gestion, ne sont pas nécessairement établies. Toutefois, cette concentration devrait être réalisée au plus tard avant l’entrée en vigueur de l’accord conclu entre les hôpitaux si cet accord est suffisamment précis concernant le fonctionnement du réseau, ses statuts, les membres de l’organe de gestion et les règles de décision au sein de l’organe de gestion.

Par contre, la reconnaissance du réseau par l’entité compétente et l’absence d’arrêté royal concernant l’implémentation des réseaux ne sont pas des éléments pertinents pour déterminer le moment de la réalisation de la concentration.

En conclusion, une analyse au cas par cas de chaque réseau devra être effectuée afin d’identifier une éventuelle obligation de notification en fonction du chiffre d’affaires globalisé et individuel des hôpitaux membres du réseau, de détermine l’existence ou non d’une concentration (à savoir, un changement durable du contrôle sur les entités concernées) et de qualifier la nature de ce contrôle. Compte tenu des budgets des hôpitaux concernés, il est fort à penser que l’Autorité devra se pencher sur de nombreux dossiers de création de réseaux dans les mois qui viennent.

Concernant les critères de compatibilité d’un projet de concentration, il est important de relever que l’autorité peut refuser un projet de concentration si la concentration envisagée est de nature à porter atteinte à une concurrence effective dans le marché eu égard notamment à la structure de tous les marchés en cause et à la concurrence réelle ou potentielle d’entreprises situées sur le territoire belge et notamment en cas de création d’une position dominante, présumée en principe lorsque l’entité créée aura plus de 40% du marché géographique concerné. Comme précisé ci-dessus, les entreprises concernées peuvent présenter des engagements en cours de procédure pour apaiser les craintes de l’Autorité à cet égard.

En l’espèce, les hôpitaux sont actifs sur un marché géographie local. L’on pourrait dès lors s’interroger sur la cohérence des objectifs de la loi du 28 février 2019 et des règles d’admissibilité des concentrations. A cet égard, l’Autorité tient à rassurer les acteurs du secteur. En effet, si elle tiendra compte dans son analyse concurrentielle du degré de concurrence effective entre hôpitaux, le droit de la concurrence prend également en considération les objectifs d’intérêt général tels que la santé publique ou l’ordre public. Le fait que la création des réseaux hospitaliers locorégionaux soit imposée par le législateur ne permet dès lors pas d’éviter les contraintes afférentes au contrôle des concentrations notamment compte tenu de la certaine marge de manœuvre laissée aux hôpitaux pour décider avec qui ils vont créer le réseau hospitalier locorégional et concernant la forme de collaboration et le niveau d’intégration au sein de ce réseau.

Nous sommes à votre disposition pour tout renseignement complémentaire à ce sujet.