La Cour de Justice de l'UE confirme la décision de la Commission qualifiant d’aide d’État le régime fiscal de quatre clubs de football espagnols 

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Le 4 mars 2021, la Cour de justice de l'UE a confirmé la légalité de la décision de la Commission qualifiant d’aide d’État le régime fiscal de quatre clubs de football professionnel espagnols. Ce régime permettait à certains clubs de football professionnels espagnols d'être dispensés de se transformer en sociétés anonymes sportives.

Le Régime fiscal espagnol applicable à certains clubs de football professionnels

Suite à l’adoption en 1990 de la loi 10/1990 sur le sport, les clubs sportifs professionnels espagnols ont été obligés à se transformer en sociétés anonymes sportives, à l’exception des clubs ayant réalisé un résultat positif lors des exercices précédant l’adoption de cette loi. Plusieurs clubs professionnels de La Liga, à savoir le Fútbol Club Barcelona (ci-après « FCB »), le Club Atlético Osasuna de Pampelune, l’Athletic Club de Bilbao et le Real Madrid Club de Fútbol, bénéficiant de cette exception, avaient choisi de conserver leur forme légale de personnes morales sans but lucratif. Ces clubs bénéficiaient donc, à ce titre, d’un taux spécifique d’imposition de leurs revenus, demeuré inférieur, jusqu’en 2016, au taux applicable aux sociétés anonymes sportives.

La position de la Commission européenne

En 2009, la Commission a été informée par les citoyens à propos d’un possible traitement fiscal préférentiel en faveur de certains clubs de football espagnols. Le 18 décembre 2013, la Commission a fait part à l'Espagne de sa décision d'ouvrir une procédure d’enquête approfondie concernant des mesures fiscales en cause.

Le 4 juillet 2016, la Commission a considéré que cette réglementation, induisant un avantage fiscal en matière d’impôt sur les sociétés au profit des quatre clubs concernés, constituait un régime d’aides illégal et incompatible au règles européennes en matière d’aides d’Etat. Dans la mesure où ce régime existait depuis plus de 10 ans et constituait donc un régime existant, la Commission a ordonné à l'Espagne de mettre fin à ce régime exceptionnel et, tenant compte de la prescription en matière d’aides d’Etat pour la période 1990-2000, d’ordonner la récupération des aides incompatibles à compter de l’exercice fiscal de 2000.

L'annulation de la décision de la Commission européenne par le Tribunal de l'UE

Le 26 février 2019, saisi d’un recours introduit par le FCB, le Tribunal de l'UE a annulé cette décision au motif que la Commission n’avait pas suffisamment établi l’existence d’un avantage économique conféré aux bénéficiaires de la mesure en cause. Selon le Tribunal, la Commission n’avait pas analysé à suffisance si l’avantage résultant du taux réduit litigieux profitant aux entités opérant sous la forme de personne morale sans but lucratif pouvait être compensé par le taux de déduction pour réinvestissement de bénéfices exceptionnels moins favorable pour celles-ci par rapport à celui qui était applicable aux entités opérant en tant que sociétés anonymes sportives.

L'arrêt de la Cour de Justice de l'UE

Dans son arrêt du 4 mars 2021, la Cour de Justice de l'UE, saisi d’un recours introduit par la Commission, a annulé l’arrêt du Tribunal de l'UE. L’argument principal de la Commission, tiré de la violation de l’article 107.1 TFUE, concernait, d’une part, la notion d’« avantage susceptible de constituer une aide d’État », ainsi que, d’autre part, les obligations qui lui incombent dans le cadre de l’examen de l’existence d’une aide, en particulier sous l’angle de l’existence d’un avantage.

En premier lieu, la Cour de Justice de l'UE a dit pour droit que la mesure litigieuse constituait, non pas une « aide individuelle », mais un « régime d’aides », qui consiste en toute disposition sur la base de laquelle, sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires, des aides peuvent être octroyées individuellement à des entreprises, définies d’une manière générale et abstraite, et toute disposition sur la base de laquelle une aide non liée à un projet spécifique peut être octroyée à une ou à plusieurs entreprises pour une période indéterminée et/ou pour un montant indéterminé.

Par conséquent, en ce qui concerne les « régimes d'aides », l'examen de l'existence d'une aide porte exclusivement sur le régime lui-même et non sur les aides accordées ultérieurement sur la base de ce régime. L’examen de l’avantage doit donc être effectué au moment de l’adoption du régime d’aide, et non au moment de l’octroi ultérieur des aides aux quatre clubs de football.

En second lieu, la Cour de Justice de l'UE constate que l’erreur de droit commise par le Tribunal met à mal les conclusions que celui-ci en tire concernant l’étendue des obligations de preuve incombant à la Commission en ce qui concerne l’existence d’un avantage.

A cet égard, le Tribunal avait jugé que la Commission aurait dû tenir compte, lors de son examen de l’existence d’un avantage, non seulement de l’avantage découlant du taux réduit d’imposition, mais également d’autres composantes du régime fiscal en cause, qu’il estime indissociables, telles que les possibilités de déduction, dans la mesure où leur limitation pourrait venir contrebalancer l’avantage susvisé.

Selon la Cour de Justice de l'UE, la Commission européenne doit, lors de l'évaluation de la condition de l' « avantage », bel et bien procéder à une appréciation globale d’un régime d’aides et prendre en compte toutes les composantes d'un régime national (tant favorables que défavorables dans le chef des bénéficiaires).

Cependant, lorsque le régime fiscal d’aides s’applique sur une base annuelle ou périodique, la Commission doit uniquement démontrer que ce régime d’aides, pris globalement, et compte tenu de ses caractéristiques propres est de nature à favoriser ses bénéficiaires au moment de son adoption. Par conséquent, les caractéristiques potentiellement défavorables dont l'impact réel dépend de « circonstances aléatoires et variables » peuvent être ignorées. A l’inverse, la Cour de Justice de l'UE rappelle que c’est uniquement au stade de la récupération éventuelle des aides individuelles octroyées sur la base du régime d’aides que la Commission doit vérifier la situation individuelle de chaque bénéficiaire, une telle récupération exigeant de définir le montant exact de l’aide dont ces derniers ont eu la jouissance effective lors de chaque exercice fiscal.

En l’occurrence, la Cour de Justice de l'UE a jugé que le régime d’aides procurait, dès le moment de son adoption, un avantage à certains clubs éligibles à ce régime, dont faisait partie le FCB, à savoir la possibilité de continuer à opérer, à titre dérogatoire, en tant qu’entité sans but lucratif, de bénéficier d’un taux réduit d’imposition par rapport à celui applicable aux clubs opérant en tant que sociétés anonymes sportives. Par conséquent, la Commission n’était pas tenue d’examiner l’incidence réelle de la déduction fiscale et de déterminer celle-ci contrebalançait l’avantage octroyé du taux d’imposition réduit. La Cour de Justice de l'UE a donc, sur ce point, l’arrêt attaqué du Tribunal.

Il est inutile de préciser que le sport, étant rapidement devenu un secteur économique à part entière, a vu son financement public monter en flèche ces dernières années. C’est dans ce contexte que la Commission européenne, soucieuse de préserver les conditions équitables de concurrence, a commencé à examiner de plus près les aides d’Etat octroyés aux clubs de sport professionnels, et en particulier les clubs de football espagnols. A cet égard, plusieurs décisions ont été rendues à l’encontre de plusieurs clubs espagnols (voir à cet égard notre article du 25 juin 2018 concernant le sursis à exécution d’une décision de la Commission en matière d’aide d’État en faveur de l’Elche CF).

Soulignons que cette distinction entre aide individuelle et régime d'aides est fondamentale en ce qui concerne le niveau de preuve à apporter par la Commission comme le révèle cette affaire mais également en ce qui concerne l'application de la prescription en matière d'aides d'Etat, qui est fixée à 10 ans à partir de l'octroi de l'aide – en cas d'aide individuelle – ou de l'entrée en vigueur du régime – indépendamment de la date des aides accordées dans le cadre de ce régime.

Il est également utile de rappeler à cet égard que cette problématique n'est pas nouvelle en matière de taxation des entreprises. Ainsi, la décision de la Commission européenne sur le régime de rulings fiscaux belges a été annulée en 2019 par le Tribunal de l'UE car il ne constituait pas un régime mais des aides individuelles. Dans la foulée de cet arrêt, la Commission avait ouvert 39 procédures formelles d'examen visant toutes les entreprises multinationales ayant bénéficiés de rulings fiscaux mis en cause dans sa procédure initiale. Parallèlement, la Commission a interjeté appel contre cet arrêt devant la CJUE. L'affaire est toujours pendante mais l'Avocat Général a pris position en faveur de la Commission européenne dans ses conclusions déposées le 3 décembre 2020.

Ces affaires témoignent à suffisance de la difficulté tant pour les juridictions européennes que pour la Commission d'appréhender la fiscalité des entreprises en matière d'aides d'Etat alors que la sécurité juridique est essentielle pour les entreprises afin d'évaluer leurs risques légaux.